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Veille

ConstructionConstruction15/12/2022

Recours entre constructeurs : revirement de jurisprudence en ce qui concerne le point de départ du délai de prescription de 5 ans (Cass., Civ. 3ème, 14 décembre 2022, n°21-21.305), par Jérôme Barbet

 

La Cour de cassation vient de juger, dans un arrêt du 14 décembre 2022, que le point de départ du délai de recours du constructeur à l’encontre d’un autre constructeur court à compter de l’assignation au fond délivrée par le maître d’ouvrage ou l’acquéreur, et non à compter de l’assignation en référé-expertise.

Par un arrêt rendu le 16 janvier 2020 (Cass. Civ. 3ème, 16 janvier 2020, pourvoi no 18-25.915), la troisième chambre civile avait déjà jugé, d’une part, que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relevait des dispositions de l'article 2224 de code civil et se prescrivait par cinq ans à compter du jour où le premier avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer et, d’autre part, que tel était le cas d'une assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur principal, laquelle mettait en cause la responsabilité de ce dernier.

Cette dernière règle obligeait cependant les constructeurs, dans certains cas, à introduire un recours en garantie contre d'autres intervenants avant même d'avoir été assignés en paiement par le maître ou l'acquéreur de l’ouvrage, dans le seul but d'interrompre la prescription. En effet, même lorsqu'ils avaient interrompu la prescription en formant eux-mêmes une demande d'expertise contre les autres intervenants à l'opération de construction, le délai de cinq ans qui, après la suspension prévue par l'article 2239 du code civil, recommençait à courir à compter du jour où la mesure d'expertise avait été exécutée, pouvait expirer avant le délai de dix ans courant à compter de la désignation de l'expert, pendant lequel le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage peuvent agir en réparation de leurs préjudices.

La Cour de cassation a changé de jurisprudence et jugé, dans l’arrêt ci-dessus rapporté (Cass., Civ. 3ème, 14 décembre 2022, n°21-21.305) que le constructeur ne peut agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution de l'obligation en nature, et qu’il ne peut dès lors être considéré comme inactif, pour l'application de la prescription extinctive, avant l'introduction de ces demandes principales.

Dès lors, l'assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures.

En d’autres termes, seule l’assignation au fond (ou l’assignation en référé-provision, mais pas l’assignation en référé-expertise) est susceptible de faire courir le délai de prescription de l’action du constructeur à l’encontre d’un autre constructeur.


ConstructionConstruction27/10/2020

Nullité du contrat de sous-traitance pour défaut de fourniture de la caution légale : le sous-traitant qui exécute les travaux est réputé y avoir renoncé (Cass., Com., 9 septembre 2020, n°18-19.250), par Jérôme Barbet

 

La loi impose à l’entrepreneur principal, sous peine de nullité du contrat de sous-traitance, de fournir à son sous-traitant, soit une caution bancaire, soit une délégation du maître d’ouvrage, afin de garantir le paiement de toutes sommes dues au sous-traitant (art. 14 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975).

Mais le sous-traitant qui, après conclusion du sous-traité, exécute les travaux en connaissance du fait que l’entrepreneur principal ne lui a pas fourni la caution exigée par la loi, est réputé avoir tacitement renoncé à se prévaloir de la nullité du sous-traité : telle est la solution que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de poser dans un arrêt du 9 septembre 2020 (Cass., Com., 9 septembre 2020, n°18-19.250).

Elle a en effet jugé, dans une affaire où un sous-traitant invoquait la nullité de son contrat au motif que l’entrepreneur principal n’avait pas fourni la caution prévue par la loi, que « la violation des formalités de l’article 14, alinéa 1er, de la loi du 31 décembre 1975, qui ont pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle ce dernier peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant ».

En principe, la caution doit impérativement être fournie dès la conclusion du contrat de sous-traitance. A défaut, le contrat de sous-traitance est nul. Le sous-traitant peut invoquer cette nullité alors même qu'il aurait été réglé de l'intégralité de ce qui lui est dû au titre du sous-traité (Cass. Civ. 3, 12 mars 1997, Bull. civ. III, n°55 ; Cass., Com., 12 juill. 2005, n°02-16.048).

En outre, la fourniture d’une caution, même quelque temps après l’entrée en vigueur du contrat de sous-traitance, est insuffisante : pour échapper à la nullité - que seul le sous-traitant peut invoquer, puisqu’il s’agit d’une nullité relative (Cass. com., 19 mai 1980 : Bull. civ. IV, n° 203) - il faut que l’entrepreneur fournisse la caution au moment de la conclusion du contrat. Il importe peu que le cautionnement soit obtenu concomitamment à la délivrance de l’assignation en nullité ou après que le sous-traitant ait invoqué, dans un courrier de mise en demeure, la nullité du sous-traité (v. Cass, Civ. 3, 17 juillet 1996, n°94-15035 ; Cass, Civ 3, 7 février 2001, n°98-19937).

La sanction édictée par la loi est particulièrement sévère : en cas de nullité, le sous-traitant échappera à ses obligations contractuelles vis-à-vis de l’entrepreneur. Aussi, le sous-traitant ne sera-t-il plus, par exemple, soumis à un quelconque délai d’exécution et ne pourra-t-il plus se voir appliquer les pénalités de retard prévues par le contrat de sous-traitance. En outre, il devra être payé du « juste prix » (généralement déterminé après expertise) de l’ensemble des prestations qu’il aura pu réaliser, le prix fixé par le contrat n’étant en principe pas applicable. Dans un tel cas, le sous-traitant pourra donc être payé au-delà du forfait contractuel… 

Le sous-traitant sera bien souvent réticent à alerter l’entrepreneur principal sur l’absence de fourniture de la caution, de peur de ne pas se voir attribuer le marché. Aussi, la sanction de la nullité est-elle utile.

Mais de manière quelque peu paradoxale, certains sous-traitants auront également parfois intérêt à ce que l’entrepreneur ne fournisse pas la caution exigée par la loi dès la conclusion du contrat, puisque cela sera ensuite potentiellement de nature à leur permettre d’obtenir, par exemple, le paiement de sommes supérieures au forfait contractuel. Cela est d’autant plus vrai que les sous-traitants disposent, dans certains cas, d’autres moyens pour pallier à une éventuelle insolvabilité de l’entrepreneur principal : action directe à l’encontre du maître d’ouvrage (à condition que le maître d’ouvrage n’ait pas d’ores et déjà réglé le solde du prix du marché à l’entrepreneur principal), ou action en dommages-intérêts à l’encontre du maître d’ouvrage (à condition que celui-ci ait été au courant de l’intervention du sous-traitant sur le chantier et n’ait pas mis en demeure l’entrepreneur de régulariser la situation, peu important dans un tel cas, que le maître d’ouvrage ait ou non réglé le solde du prix du marché à l’entrepreneur avant que le sous-traitant réclame son dû).

Dès lors, la jurisprudence est venue poser quelques limites au droit du sous-traitant d’invoquer la nullité du sous-traité.

Tout d’abord, les tribunaux admettent que la caution soit fournie après la signature du contrat de sous-traitance, dès lors que celui-ci précise qu’il ne prendra effet qu’à la date de la remise de la caution (en ce sens, v. Cass, Civ 3, 22 octobre 2013, n°12-26250, déclarant valable la clause contractuelle indiquant que la date de remise de la caution constitue la date d’entrée en vigueur du contrat).

Ensuite, les juges ne permettent pas au sous-traitant auquel la caution n’a pas été fournie, d’échapper à toute responsabilité : dans un tel cas, l’entrepreneur principal conserve quand même son droit d’agir à l’encontre du sous-traitant en réparation des malfaçons (Cass., Civ. 3, 14 décembre 2011, 10-28149).

Enfin, s’agissant d’une nullité relative, l’acte est toujours susceptible d’une « confirmation » – c’est-à-dire d’une renonciation à invoquer sa nullité - par le sous-traitant. Tel sera le cas, par exemple, si le sous-traitant accepte, après la conclusion du contrat, une délégation de paiement du maître d’ouvrage (en ce sens, v. CA Paris, 23 mai 2001, SA ADN c/ SA Aqua plus, JurisData n°2001-148994).

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient aujourd’hui d’ajouter une limite supplémentaire au droit du sous-traitant d’invoquer la nullité du contrat : lorsque celui-ci a, « en connaissance de cause » (c’est-à-dire en sachant, au moment de la conclusion du contrat, que la caution légale n’a pas été fournie), volontairement exécuté le contrat, même partiellement, il doit être considéré comme ayant renoncé à demander la nullité de celui-ci.

En l’espèce, le litige opposait une entreprise chargée d’un marché de carénage d’un navire, à son sous-traitant, qui devait effectuer des prestations de chaudronnerie.

Le sous-traitant avait réclamé le paiement de sommes au-delà du forfait contractuel, ce que l’entrepreneur principal avait refusé. Le sous-traitant avait alors agi en nullité du contrat de sous-traitance, faute pour l’entrepreneur d’avoir fourni la caution exigée par la loi, et demandé le paiement de ses prestations au « juste prix ».

La Cour d’appel avait annulé le contrat de sous-traitance après avoir relevé que l’entrepreneur principal avait contesté les réclamations du sous-traitant quant au surcoût des travaux qu’il avait réalisés et que le défaut de paiement de l’intégralité des travaux au sous-traitant excluait la confirmation par ce dernier de l’acte entaché de nullité. 

La Cour de cassation casse l’arrêt au motif qu’en se déterminant ainsi, après avoir constaté que le sous-traitant avait « exécuté les obligations résultant du contrat de sous-traitance irrégulier, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette exécution n’avait pas eu lieu en connaissance du vice affectant le contrat, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Cette solution est conforme au droit : en matière de nullité relative, la partie qui a intérêt à la soulever (c’est-à-dire celle que la loi entend protéger : le sous-traitant en l’espèce) peut toujours y renoncer, en « confirmant » l’acte (art. 1181 al 2 du code civil).

La confirmation de l’acte irrégulier ne peut intervenir qu’après la conclusion du contrat, et ce, soit expressément, soit tacitement. 

Selon la loi, la confirmation tacite sera caractérisée en cas d’« exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité » (art. 1182).

Dès lors, la technique de la confirmation restreint de manière significative, la faculté pour le sous-traitant d’invoquer la nullité de son contrat : le moyen devra désormais être invoqué tout de suite après la conclusion du contrat, avant que les travaux commencent. A défaut, le sous-traitant sera réputé y avoir renoncé.

Est-ce à dire que, dans tous les cas où le sous-traitant exécutera les travaux volontairement, il devra être considéré comme ayant renoncé à se prévaloir de la nullité ? Rien n’est moins sûr : bien que l’article 1182 du code civil ne prévoit pas cette possibilité, peut-être faut-il considérer que lorsque le sous-traitant aura, avant de commencer à exécuter le contrat, réservé l’ensemble de ses droits et actions du fait de l’absence de fourniture de la caution, il ne saurait être considéré comme ayant renoncé, même tacitement, à se prévaloir de la nullité du contrat. Mais cette solution est tout sauf certaine, car l’objectif poursuivi par la réforme du droit des contrats, opérée en 2016, est plutôt de purger les causes de nullité du contrat au plus vite. Le code civil prévoit ainsi une réduction du délai pour agir en nullité à 6 mois dans certains cas (v. art. 1183 du code civil). Conformément à cette nouvelle disposition, si, après avoir fourni la caution tardivement, l’entrepreneur demande au sous-traitant par écrit, soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans un délai de six mois, le sous-traitant devra agir dans ce délai à peine de forclusion de son action (art. 1183 du code civil).

Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation, le sous-traitant n’avait pas soulevé de réserves quant à l’absence de fourniture de la caution. Dans tous les cas, son action en nullité ne pouvait donc pas prospérer.

 

Jérôme Barbet, Avocat Associé, SCP Enjea Avocats


ConstructionConstruction08/04/2020

Epidémie de Covid-19 et marchés privés de travaux : imprévision, règles du marché à forfait et force majeure, par Jérôme Barbet

 

1- La plupart des chantiers ont été arrêtés suite à l’épidémie de Covid-19 et l’édiction, par le Gouvernement, de règles visant à faire respecter les mesures dites « barrières », et restreindre les déplacements et regroupements de personnes (v. arrêté du 14 mars 2020, modifié le 15 mars 2020, ainsi que les décrets des 16 et 23 mars 2020).

L’arrêté du 14 mars 2020, modifié le 15 mars 2020, dispose notamment qu’ « afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène et de distanciation sociale, dites “barrières”, définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance. Les rassemblements, réunions, activités et accueils qui ne sont pas interdits en vertu du présent arrêté sont organisés en veillant au strict respect de ces mesures » (ce principe essentiel de respect des mesures barrières a ensuite été repris par l'article 2 du décret n°2020-293 du 23 mars 2020).

Or, le respect de certaines mesures barrières, telles que la distanciation sociale, apparaît difficile à mettre en oeuvre pour les chantiers avec coactivité.

Allant encore plus loin, le décret n°2020-260 du 16 mars 2020, modifié par le décret n°2020-293 du 23 mars 2020, a interdit quant à lui le déplacement de toute personne hors de son domicile à l'exception, notamment, des « trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés », et ce « dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes ».

Estimant que les chantiers ne pouvaient pas être poursuivis sans mettre en danger la santé des compagnons, nombre d'entreprises ont, compte tenu de la situation, supendu leurs travaux, au grand dam du Gouvernement. 

2.- Alors que les chantiers étaient arrêtés, les fédérations d’employeurs du secteur du BTP (FNTP, FFB, Capeb, Scop-BTP) et le Gouvernement se sont ensuite rapprochés et sont parvenus, après plus de deux semaines de négociations, à un accord dans la soirée du 2 avril 2020, pour valider le « Guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de construction » rédigé par l’organisme de prévention du secteur (l’OPP-BTP), et censé permettre une reprise des chantiers.

A défaut pour les entreprises de pouvoir respecter les consignes de sécurité prévues par ce guide, elles devront selon l’OPP-BTP, stopper leur activité : le guide précise en effet que « les entreprises doivent respecter strictement les préconisations de ce guide pendant toute la période de confinement décidée par les autorités, et à défaut de pouvoir le faire, stopper leur activité sur les travaux concernés ». 

S'agissant d'un simple guide de préconisations édicté par une autorité dépourvue de tout pouvoir réglementaire, le guide de l'OPP-BTP n'a pas, en tant que tel, la valeur d'un règlement obligatoire. Cela étant:

- les mesures dites barrières constituent bien, quant à elles, une obligation réglementaire depuis l'arrêté du 14 mars 2020 et le décret du 23 mars 2020; et 

- le guide de l'OPP-BTP a pour objet, précisément, de décliner, sous forme pratique et concrète, l'application des mesures barrières aux chantiers.  

Il y a donc fort à parier que le guide de l'OPP-BTP sera considéré, en cas de contentieux, comme un mètre-étalon par les Tribunaux afin d'apprécier un certain nombre de situations de fait : irrésistibilité (force majeure), changement imprévisible (imprévision) etc... (étant néanmoins observé que le guide de l'OPP-BTP est aujourd'hui critiqué pour avoir été conçu sans l'approbation d'autres acteurs du secteur : fédérations de promoteurs, de maîtrise d'oeuvre etc..).

3.- Or, certaines consignes de sécurité prévues par le guide de l’OPP-BTP apparaissent, en l’état, très difficiles voire parfois impossibles à mettre en œuvre pour certaines entreprises, compte tenu par exemple de la pénurie de masques.

Le guide de l’OPP-BTP requiert en effet, en début de tâche, une revue des modes opératoires pour garantir le respect d’une distance d’au moins un mètre entre deux individus et à défaut pour cette distance de pouvoir être respectée, le port obligatoire du masque. Le guide considère que les masques doivent être « obligatoires » dans trois situations : « quand deux compagnons travaillent à moins d’un mètre l’un de l’autre, quand un acteur du BTP intervient chez un client à la santé fragile, et bien sûr quand il se rend chez un client malade. » 

D’autres consignes peuvent paraître, si ce n’est impossibles à mettre en œuvre, de nature à entraîner la mise en place de procédures assez lourdes, et générer des surcoûts pour les entreprises. Le guide de l’OPP-BTP recommande, par exemple, de limiter autant que faire se peut la coactivité en réorganisant les opérations, de nommer un référent Covid-19 par entreprise et par chantier, et de contrôler l’accès au chantier des salariés et autres intervenants présentant des symptômes de la maladie : toux, fièvre, perte d’odorat et/ou de goût. 

Le guide prévoit également que ne pourront travailler, sous aucun prétexte, les personnes présentant un risque élevé de développer une forme sévère de la maladie (à cause d’affection ou d’insuffisance respiratoire chronique, d’insuffisance cardiaque, d’hypertension artérielle ou encore d’obésité avec indice de masse corporelle égal ou supérieur à 40).

La règle de distance physique doit, quant à elle, amener à diviser par deux la capacité d’accueil des bases vie etc…

4.- Certes, le guide édicté par l’OPP-BTP cherche à impliquer les maîtres d’ouvrage dans l'application des nouvelles mesures de sécurité : il est ainsi précisé que préalablement à la mise en œuvre des nouvelles consignes de sécurité, le maître d'ouvrage devra, pour chaque opération, quelle que soit sa taille, formaliser, après analyse, le cas échéant par le maître d’œuvre et le coordonnateur SPS (lorsque l’opération est soumise à ce dispositif), et en accord avec les entreprises intervenantes « une liste des conditions sanitaires afin de s’assurer que les différents acteurs pourront mettre en œuvre et respecter dans la durée les directives sanitaires générales et les consignes complémentaires édictées dans ce guide ».

Mais le guide ne règle bien évidemment pas les questions d'ordre contractuel et juridique posées par l'épidémie de Covid-19, et notamment celles de savoir si, confrontées à cette situation inédite, les entreprises de BTP sont en droit de suspendre leurs chantiers et/ou d’exiger une révision du prix des marchés, voire d’y mettre fin : ces questions doivent être envisagées sous l’angle de l’imprévision (I), des règles du marché à forfait (II) et de la force majeure (II). 

I.               L’imprévision

5.- En cas de survenance d’un événement imprévisible, l’article 1195 du Code civil, applicable aux seuls contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, permet à une partie de demander, sous certaines conditions, une renégociation du contrat à son cocontractant (et notamment une renégociation du prix). 

A défaut d’accord entre les parties dans un « délai raisonnable », il est alors possible à la partie qui s’estime lésée de saisir un Juge pour lui demander de réviser le contrat ou d’y mettre fin.

6.- Mais pour que l’article 1195 du Code civil ait vocation à s’appliquer, encore faut-il démontrer : 

-        un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ; et

-        qui rende l’exécution du contrat « excessivement onéreuse » pour une partie qui n’avait « pas accepté d’en assumer le risque ».

7.- Il va de soi que pour les marchés de travaux conclus après le déferlement de l’épidémie en France, et notamment après l’entrée en vigueur des diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 édictées par l’arrêté du 14 mars 2020, modifié le 15 mars 2020, ainsi que des mesures de réglementation des déplacements édictées par les décrets des 16 et 23 mars 2020, l’article 1195 du Code civil n’aura pas vocation à jouer.

8.- Mais quid des marchés conclus avant l’édiction de cette réglementation, à une époque où le déferlement de l’épidémie de Covid-19 en France n’était pas encore prévisible ? L’article 1195 du Code civil pourra-t-il être invoqué ?

L’entrepreneur risque ici de se retrouver confronté à deux problèmes juridiques :

-        la plupart des marchés prévoient une renonciation de l'entrepreneur à se prévaloir des dispositions de l’art. 1195 du Code civil (renonciation valable car l’art. 1195 du Code civil n’est pas d’ordre public) ; et

-        dans les marchés à forfait, régis par l’article 1793 du Code civil, une partie de la doctrine considère que l’article 1195 du Code civil n’a de toute façon pas vocation à s’appliquer : certains auteurs font valoir qu’aux termes de l’article 1105 du Code civil, les règles générales s’appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats, dont le contrat d’entreprise ; et qu’en cas de conflit entre l’article 1195 du Code civil, texte général, et l’article 1793 du même Code, texte spécial, priorité devrait être donnée à ce dernier.

Les Juridictions seront certainement amenées à devoir trancher cette question.

II.             Les règles du marché à forfait

9.- Conformément aux règles du marché à forfait édictées par l’article 1793 du code civil, le prix est en principe intangible et les travaux supplémentaires ne peuvent être réglés à l’entrepreneur que sous réserve de respecter certaines conditions : de tels travaux doivent avoir été autorisés par écrit par le maître d’ouvrage, et le prix convenu avec lui.

Les travaux supplémentaires ne peuvent donc être payés que s’il est justifié, en principe, d’un ordre écrit du maître de l’ouvrage (Cass., Civ. 3ème, 16 mars 2004, n°02-21268). 

10.- Ce principe fondamental connaît des exceptions, notamment en cas de « bouleversement » de l’économie du contrat. Mais pour que la théorie du bouleversement de l’économie du contrat ait vocation à s’appliquer en matière de marchés privés de travaux, encore faut-il que la modification du marché provienne d’une initiative du maître d’ouvrage (Cass, Civ 3, 28 octobre 2003, n°02-15907). Des phénomènes extérieurs tels que, par exemple, des grèves ou une modification de la réglementation ne sauraient, selon la jurisprudence, être considérés comme constitutifs d’un bouleversement de l’économie du contrat dans la mesure où ils ne résultent pas de la volonté du maître d’ouvrage (Cass civ 3, 20 nov. 2002, n°00-14423).

Or, l’épidémie de Covid-19 constitue un phénomène extérieur.

11.- Reste cependant la question de savoir si les nouvelles mesures de sécurité, rendues nécessaires par l’épidémie de Covid-19 pourraient éventuellement être considérées comme « hors marché » ou « hors forfait », et devant échapper, comme telles, aux règles définies par l’article 1793 du Code civil (nécessité d’une autorisation écrite du maître d’ouvrage et d’un prix convenu avec lui).

En principe, le prix forfaitaire est censé comprendre tous les travaux nécessaires à l’obtention du résultat promis (Cass., Civ. 3, 16 mars 2010, n°09-65246). Ainsi, des travaux non prévus initialement mais nécessaires pour que l’ouvrage soit réalisé conformément aux règles de l’art, doivent être réalisés aux seuls frais de l’entreprise.

Néanmoins, l’entrepreneur est toujours en droit d’obtenir paiement des travaux réalisés « hors marché ». Selon une jurisprudence ancienne, les travaux « hors marché » n’étaient pas soumis au formalisme de l’article 1793 du Code civil, aucune autorisation écrite du maître d’ouvrage n’étant nécessaire pour obtenir le paiement de tels travaux (Cass civ 3, 30 avr. 1969, Bull civ III n°338 ; Cass civ 3, 27 mars 2007, n°06-12566). 

Mais selon une jurisprudence plus récente, l’entrepreneur est tenu, même dans le cas de travaux réalisés hors forfait, de démontrer qu’ils ont été valablement commandés ou acceptés sans équivoque après leur exécution par le maître d’ouvrage (Cass civ 3, 2 juin 2016, n°15-16.673).

Aussi, deux questions vont se poser : 

-        Peut-on considérer que les nouvelles mesures de sécurité imposées par l’épidémie, et notamment les consignes préconisées par le guide de l’OPP-BTP génèrent des « travaux hors marché » susceptibles, comme tels, de faire l’objet d’une rémunération complémentaire au profit de l’entrepreneur ? En principe, les travaux hors marché s'entendent de l'adjonction d'ouvrages supplémentaires ou de la modification d'ouvrages à l'initiative du maître d'ouvrage, et non d'une modification du mode opératoire lui-même (en principe, les travaux nécessaires à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art sont réputés inclus dans le prix forfaitaire, v. supra) ; le risque est donc grand que les nouvelles consignes de sécurité rendues nécessaires par l'épidémie de Covid-19 ne soient pas considérées comme des travaux réellement supplémentaires au sens de l'article 1793 du Code civil; mais une évolution de la jurisprudence sur ce point n'est pas à exclure, compte tenu du caractère inédit et de la gravité de la crise sanitaire;

-        A supposer que l'on soit en présence de travaux "hors marché" ou "hors forfait" (ce qui est loin d'être évident, v. supra), le droit à rémunération de tels travaux ou surcoûts supposera-t-il de rapporter la preuve d’un accord exprès ou tacite du maître d’ouvrage ? La Cour de cassaton maintiendra-t-elle sa jurisprudence la plus récente en la matière (Cass civ 3, 2 juin 2016, n°15-16.673) ou reviendra-t-elle, au contraire, à une jurisprudence plus favorable aux entrepreneurs  (Cass civ 3, 30 avr. 1969, Bull civ III n°338 ; Cass civ 3, 27 mars 2007, n°06-12566) ? 

A défaut de pouvoir renégocier le prix du marché, l'entrepreneur pourra-t-il alors invoquer la force majeure pour échapper à ses obligations ? (v. III ci-dessous).

III.           La force majeure

12.- La force majeure n’est pas un mode de révision du contrat : lorsqu’elle est caractérisée, elle permet seulement de suspendre temporairement les effets du contrat, voire dans certains cas extrêmes d’y mettre fin (v. infra).

13.- Conformément à l’article 1218 du Code civil, constitue un cas de force majeure l’événement qui empêche l’exécution par une partie de ses obligations et qui :

-        ne provient pas de son propre fait (critère de l’extériorité) ;

-        ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (critère de l’imprévisibilité) ; 

-        produit des effets qui ne peuvent être évités par des mesures appropriées (critère de  l’irrésistibilité). 

Les juges disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier au cas par cas si ces trois critères cumulatifs sont réunis.

14.- Concernant la première condition, il ne fait pas de doute que l’épidémie de Covid-19 constitue un événement extérieur aux parties dès lors qu’elles n’en sont pas à l’origine. 

15.- En ce qui concerne le second critère, à savoir l’imprévisibilité, tout dépendra de la date à laquelle le marché a été conclu. Si, à cette date, l’ampleur et les conséquences de l’épidémie de Covid-19 pouvaient être raisonnablement prévues, ce critère ne saurait être considéré comme rempli. 

Ici encore, il est clair que pour les marchés de travaux conclus après l’entrée en vigueur des diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 édictées par l’arrêté du 14 mars 2020, modifié le 15 mars 2020, puis par les décrets des 16 et 23 mars 2020, la force majeure ne pourra pas être invoquée : à ce moment-là, un certain nombre de mesures barrières venaient d’être imposées par la réglementation et la gravité de l’épidémie de Covid-19 en France était incontestablement certaine.

Il a d’ailleurs déjà été jugé, à propos de l’épidémie de grippe H1N1, que cet événement ne constituait pas un cas de force majeure, dans la mesure où il avait été largement annoncé et prévu (CA Besançon, 8 janv. 2014, RG n°12/02291).

Mais quid des marchés de travaux conclus à une époque où le déferlement de l’épidémie de Covid-19 en France n’était pas encore prévisible et où la réglementation n’imposait pas de respecter des mesures barrières ni de restreindre ses déplacements ? La force majeure pourra-t-elle être invoquée ? Le critère de l’imprévisibilité ne fera pas de doute dans un tel cas, mais le débat se cristallisera alors au sujet du troisième critère : celui de l’irrésistibilité. 

16.- L’irrésistibilité suppose de démontrer qu’aucune mesure appropriée ne peut être mise en place pour poursuivre le chantier. Elle s’apprécie au cas par cas, pour chaque entreprise, pour chaque chantier : « in concreto ». A l’instar du critère d’imprévisibilité, c’est moins le virus en lui-même que ses conséquences concrètes qui doivent être prises en compte.  

Il a par exemple été jugé que l’épidémie de chikungunya ne constituait pas un cas de force majeure dès lors que ses effets sur la santé n’étaient pas, sauf fragilité de santé particulière, insurmontables et qu’il existait un traitement médical permettant de soulager les symptômes (CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, RG n°17/00739).

Cette jurisprudence n’est bien évidemment pas applicable à l’épidémie de Covid-19, dont l’ampleur, la gravité et le taux de mortalité apparaissent bien plus élevés et qui a fait l’objet d’une réglementation particulièrement restrictive, imposant notamment le respect des mesures dites « barrières » (distanciation sociale etc…).

Cela est confirmé par un arrêt récent de la Cour d’appel de Colmar, qui a considéré que le virus Covid-19 constituait un événement non seulement extérieur et imprévisible, mais surtout irrésistible (CA Colmar, 12 mars 2020, n°20/01098). 

Dans cette affaire, il était demandé à la Cour d’appel de Colmar de se prononcer sur le point de savoir si l’absence d’un demandeur d’asile à l’audience était justifiée ou non par un cas de force majeure. Pour répondre positivement à cette question, la Cour d’appel de Colmar a relevé que le demandeur d’asile ne pouvait pas se rendre à l’audience dès lors qu’il avait été en contact avec des personnes contaminées par le virus Covid-19, qu’il n’était pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à le conduire à l’audience. 

Si cet arrêt a été rendu dans le contexte particulier de l’escorte d’un demandeur d’asile à une audience, le risque de contagion et l’impossibilité de mettre en œuvre des mesures propres à y faire obstacle constituent des critères susceptibles de servir à caractériser l’existence d’un cas de force majeure en matière de marchés privés de travaux. 

17.- L’épidémie de Covid-19 impose le respect de « mesures barrières », ainsi que l’article 2 du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 le dispose expressément : « Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières », définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance. »

Or, le guide de l’OPP-BTP définit précisément les mesures d’hygiène et de sécurité à mettre en œuvre sur les chantiers afin d’éviter la propagation de l’épidémie de Covid-19. 

Mais à supposer que les mesures propres à empêcher la propagation de l’épidémie de Covid-19 (telles que par exemple le port du masque lorsque les individus n’ont pas d’autre choix que d’être à moins d’un mètre de distance en cas de coactivité) ne puissent pas être mises en œuvre sur le chantier, en raison par exemple de pénurie d’équipements de protection individuels, ne devrait-on pas considérer que cette situation constitue un événement irrésistible caractérisant un cas de force majeure justifiant la suspension du chantier ? 

A cet égard, il doit être souligné que la loi impose aux entreprises d’assurer la sécurité de leurs salariés (art. 4121-1 du Code du travail). Cette exigence peut en pratique être respectée notamment par la fourniture d’équipements de protection (masques et gants adaptés, gel hydroalcoolique…) et une adaptation des conditions de travail (v. sur ce point le guide conçu par l’OPP-BTP).

Mais les difficultés d’approvisionnement en équipements de protection (masques, gel hydroalcoolique etc..) et les contraintes propres à certains chantiers pourraient aujourd’hui être considérées par certaines entreprises comme rendant impossible la reprise des travaux. 

Chaque situation devra néanmoins faire l’objet d’une appréciation au cas par cas (il est bien évident par exemple qu’un artisan entrepreneur, travaillant seul sur un chantier, ne sera pas soumis aux mêmes contraintes de sécurité, en l’absence notamment de coactivité).

18.- Dans certains cas, les parties pourront avoir pris soin de lister dans leur contrat des événements constituant en tant que tels des cas de force majeure ainsi que les conditions de forme et de délai pour les invoquer. A l’inverse, le contrat peut prévoir une liste d’événements que les parties auront pris soin d’exclure de la qualification de force majeure. 

Il conviendra alors aux parties de vérifier si les épidémies, pandémies, crises sanitaires ou mesures prises par les autorités publiques dans ce contexte font ou non contractuellement partie des cas de force majeure et, le cas échéant, de respecter les conditions contractuelles pour les invoquer.

19.- Sous réserve que les critères légaux ou contractuels de la force majeure soient réunis, l’impossibilité d’exécuter le marché devrait en principe durer temporairement, c’est-à-dire, jusqu’à ce que des mesures appropriées puissent être mises en œuvre pour poursuivre le chantier.

Conformément à l’article 1218 du Code civil, si l'empêchement est temporaire « l'exécution de l'obligation est suspendue ».

Pour les marchés soumis à la Norme AFNOR NF P03-001 (édition octobre 2017), l’article 10.3.1.2 prévoit expressément que le délai d’exécution des travaux est « prolongé de la durée des empêchements de force majeure ».

20.- L’article 1218 du Code civil contient toutefois une réserve importante : l’exécution de l’obligation est suspendue « à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ».

Cette réserve n’a pas encore été définie en jurisprudence mais l’on peut raisonnablement considérer qu’elle aurait vocation à s’appliquer dans des cas où la suspension du contrat aurait pour effet d’y porter très substantiellement atteinte jusqu’à, par exemple, le rendre inutile. 

21.- Autre point important : le cocontractant défaillant n’est pas libéré s’il a accepté de se charger de l’impossibilité d’exécuter ou s’il a été mis en demeure de s’exécuter avant que survienne l’impossibilité (art. 1351 du Code civil). 

22.- En ce qui concerne l’impact de l'urgence sanitaire causée par l'épidémie de Covid-19 sur les pénalités de retard, les clauses résolutoires et les délais de prescription et de forclusion, v. https://www.enjea-avocats.com/blog-article/431/impact-de-l-urgence-sanitaire-caus-e-par-l-pid-mie-de-covid-19-sur-les-p-nalit-s-de-retard-les-clauses-r-solutoires-et-les-d-lais-de-prescription-et-de-forclusion-par-j-r-me-barbet

 

Jérôme Barbet, Avocat au barreau de Paris, Solicitor (England & Wales), Avocat associé, SCP Enjea Avocats


ConstructionConstruction26/03/2020

Impact de l' urgence sanitaire causée par l' épidémie de Covid-19 sur les pénalités de retard, les clauses résolutoires et les délais de prescription et de forclusion, par Jérôme Barbet

Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire 

L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire, publiée au Journal Officiel du 26 mars 2020, prévoit une série de mesures destinées à traiter des conséquences de la crise sanitaire sur un certain nombre de délais, dont notamment une prorogation de plein droit des délais de prescription et de forclusion des actions en justice (I) et une suspension des effets de certaines clauses contractuelles, dont les clauses de pénalités de retard et les clauses résolutoires (II). 

I.- Délais de prescription et de forclusion 

1.- Le fonctionnement des Juridictions civiles et commerciales étant fortement impacté par l’épidémie de Covid-19, l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit tout d’abord une prorogation de plein droit des délais de prescription et de forclusion des actions en justice (art. 2 de l’ordonnance).

2.- Cette prorogation de plein droit est cependant conditionnée à la circonstance que le délai en question soit arrivé à terme pendant une période spéciale, comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d'un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 22 mars 2020.

A l’heure actuelle, il est prévu que l'état d'urgence se termine le 24 mai 2020 (la loi votée le 22 mars 2020 est entrée en vigueur pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national à compter de sa publication le 24 mars 2020). 

L’ordonnance vise donc les délais de prescription et de forclusion qui arriveront à terme entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.

3.- Les délais de prescription et de forclusion, qui arriveront à terme après l’expiration d’un délai d'un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire (soit après le 24 juin 2020 en l’état actuel), ne bénéficieront pas de la prorogation prévue par l’ordonnance. 

De même, les délais échus avant le 12 mars 2020 ne seront pas reportés.

4.- L’ordonnance ne prévoit ni une suspension générale ni une interruption générale des délais arrivés à terme pendant la période spéciale comprise entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020. L’effet de l’article 2 de l’ordonnance est seulement d’interdire que l'action engagée dans le nouveau délai imparti puisse être regardée comme tardive.

Ainsi, alors même que l'action en justice serait engagée après l'expiration du délai de prescription ou de forclusion prévu par la loi, elle sera considérée, en vertu de l’article 2 de l’ordonnance, comme ayanté été régulièrement effectuée avant l’expiration d’un nouveau délai égal au délai qui était initialement imparti par la loi ou le règlement, lequel recommence à courir à compter de la fin de la période spéciale définie à l’article 1 de l'ordonnance (c’est-à-dire à l’issue de la période d’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois). Ce délai supplémentaire après la fin de la période spéciale ne peut toutefois excéder deux mois : soit le délai initial était inférieur à deux mois et l’action devra être engagée dans le délai imparti par la loi ou le règlement, soit il était supérieur à deux mois et l'action devra être engagée dans un délai de deux mois.

A titre d’exemple, si le délai pour agir au titre de la garantie décennale expirait le 26 mars 2020, le demandeur pourra encore agir pendant les deux mois qui suivent la fin du délai d’un mois suivant la cessation de l’état d’urgence, soit jusqu'au 24 août 2020 en l'état actuel. Le  demandeur pourra agir avant le 24 août 2020 sans que son action puisse être déclarée irrecevable comme forclose.

5.- L’ordonnance du 25 mars 2020 laisse intact l’article 2234 du Code civil, qui prévoit, en droit commun, une suspension des délais de prescription en cas d'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement « résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Mais dans la mesure où l’article 2224 du Code civil impose au plaideur qui l’invoque de démontrer le cas de force majeure l’ayant empêché d’agir, il ne devrait pas être beaucoup invoqué : l’ordonnance du 25 mars 2020, qui crée une cause de prorogation des délais de plein droit, suffira.

II.- Pénalités de retard et clauses résolutoires

6.- Le domaine de l’ordonnance du 25 mars 2020 relative aux délais échus pendant la période d’urgence sanitaire est bien plus large que celui des seuls délais de prescription et de forclusion. Sont visés tous les délais prescrits « par la loi ou le règlement » à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque.  

7.- Mais les délais prévus par les conventions ne sont pas visés par l’ordonnance. Dès lors, les délais d'exécution des obligations prévus par les contrats ne sont pas suspendus par l'ordonnance : par exemple, le paiement devra toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat. Néanmoins, les dispositions de droit commun restent applicables et pourront être invoquées si leurs conditions sont réunies, par exemple la force majeure prévue par l'article 1218 du code civil.

8.- Cependant, l’ordonnance prévoit, à titre exceptionnel, une suspension de plein droit des effets de certaines clauses contractuelles : clauses pénales, clauses résolutoires, clauses d'astreinte, toutes clauses de déchéance ayant pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé. Les délais prévus par ces clauses seront réputés n’avoir pas pris cours ni produit effet, dès lors qu’ils étaient normalement censés, aux termes du contrat, expirer pendant la période spéciale (c’est-à-dire pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 en l’état actuel) (art. 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020). 

Les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance qui auraient dû produire ou commencer à produire leurs effets entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 sont suspendues : leur effet est paralysé ; elles prendront effet un mois après la fin de cette période (soit le 24 juillet 2020), si le débiteur n'a pas exécuté son obligation d'ici là.

A titre d’exemple, la clause résolutoire verra ses effets suspendus si le délai imparti au débiteur pour remédier à son manquement, prévu par la clause, était censé expirer pendant la période spéciale. Dans un tel cas, la clause résolutoire ne pourra pas prendre effet avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de la période spéciale (si le débiteur n’a pas exécuté son obligation d’ici là), soit pas avant le 24 juillet 2020 en l’état actuel. 

En revanche, les clauses résolutoires qui ont déjà produit effet avant le 12 mars 2020 ne sont pas impactées par l’ordonnance. 

Autre exemple : un contrat, comportant une clause pénale d’un montant de 10.000 euros, devait être exécuté le 5 mars. Le 6 mars, en l’absence d’exécution, le créancier a adressé une mise en demeure à son débiteur par laquelle il lui laissait 10 jours pour exécuter le contrat, la clause devant produire ses effets à l’issue de ce délai en l’absence d’exécution. Ce délai expirant lors de la période spéciale prévue à l’article 1er de l’ordonnance, la clause pénale ne produit pas ses effets si le débiteur ne s’exécute pas. Elle les produira en revanche si le débiteur n’a toujours pas exécuté son obligation dans le mois qui suit la fin de la période spéciale, c'est-à-dire s'il n'a toujours pas exécuté son obligation d'ici le 24 juillet 2020 en l'état actuel.

9.- Quant aux pénalités de retard qui avaient commencé à courir avant le 12 mars 2020, elles voient également leur cours suspendu pendant la période spéciale : leurs effets reprendront dès le lendemain, soit le 25 juin 2020 en l’état actuel.

10.- Enfin, l’ordonnance prévoit une prolongation de deux mois après la fin de la période spéciale des délais prévus pour résilier ou dénoncer une convention : lorsqu'une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu'elle est renouvelée en l'absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s'ils expirent durant la période spéciale, de deux mois après la fin de cette période (art. 5 de l’ordonnance).

Jérôme Barbet, Avocat au barreau de Paris, Solicitor (England & Wales), Avocat associé, SCP Enjea Avocats


ConstructionConstruction07/02/2020

Essoc 2 : publication d'une ordonnance relative à la réécriture des règles de construction

Prise sur le fondement du I de l'article 49 de la loi ESSOC, cette nouvelle ordonnance généralise, en l’intégrant au droit commun, la démarche expérimentale mise en œuvre avec l’ordonnance n°2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation. Elle prévoit la possibilité pour le maître d'ouvrage de satisfaire à ses obligations en matière de construction s'il apporte la preuve qu'il parvient, par les moyens qu'il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l'application des normes de référence ("permis d'expérimenter").

Une nouvelle rédaction des règles de construction applicables est adoptée, visant à éclairer le maître d’ouvrage sur les obligations qui lui incombent, notamment par l'identification des objectifs poursuivis.

Les objectifs généraux des règles de construction sont identifiés par l'ordonnance, qui renvoie au pouvoir réglementaire la définition des résultats minimaux à atteindre.

La rédaction des règles applicables aux différents champs techniques (accessibilité, performance énergétique, sécurité…) est harmonisée. Le principe général suivant est désormais appliqué pour tous les champs techniques de la construction : toute solution technique peut être mise en œuvre dès lors qu'elle respecte les objectifs généraux prévus par la loi (nouvel article L. 112-4 du code de la construction et de l'habitation).

Modalités de mise en oeuvre du principe :

- si des résultats minimaux à atteindre sont fixés par voie réglementaire, le maître d'ouvrage justifie du respect de l'objectif général par la preuve de l'atteinte de ces résultats minimaux, selon les modalités propres au champ technique correspondant

- La mise en œuvre d'une solution technique définie par voie réglementaire le dispense d'apporter cette preuve ;

- si les résultats minimaux à atteindre ne sont pas fixés par la réglementation, le maître d'ouvrage justifie du respect de l'objectif général par le recours :

  • soit à une « solution de référence » définie par voie réglementaire (nouvel article L. 112-5) ;
  • soit à une autre solution, qualifiée de « solution d'effet équivalent » (nouvel article L. 112-6).

A noter : pour les bâtiments à usage mixte, réversible ou indéterminé au moment du dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme, s’il n’est pas possible d’appliquer les règles de manière distincte aux différents usages, les solutions devront respecter l’ensemble des objectifs généraux et résultats minimaux (art. L.112-8).

Ces solutions d'effet équivalent feront l'objet d'un contrôle spécifique :

- avant travaux : délivrance, par un organisme indépendant du projet et reconnu compétent, d'une attestation du caractère équivalent des résultats de la solution proposée,

- puis délivrance d'une attestation par un contrôleur technique de la bonne mise en œuvre de la solution.

- contrôle et sanction du respect de la procédure de mise en œuvre des solutions d’effet équivalent par les services actuellement chargés du contrôle du respect des règles de construction

Refonte du code de la construction et de l'habitation ;

Le livre 1er du code de la construction et de l’habitation est restructuré : les règles de construction sont distinguées des dispositions plus générales (cadre administratif de l’acte de construire). Le nouveau plan du livre Ier est le suivant :

- Titres 1 (principes généraux) et 2 (encadrement de la conception et de la réalisation des bâtiments) : modalités de respect de la réglementation, cadre administratif, attestations et études, relations entre acteurs du bâtiment etc.

- Titres III (règles de sécurité) à VII (performance énergétique et environnementale) : ensemble des règles de construction par les champs techniques ;

-  Titre VIII : règles de contrôle et de sanction ;

-  Titre IX : dispositions particulières à l'outre-mer.

Au sein de chacun des titres III à VII, l'organisation des chapitres et sections permet une identification rapide des « objectifs généraux » que le maître d'ouvrage doit respecter dans les différents champs techniques.

Le nouveau CCH « récupère » les règles de construction aujourd’hui présentes dans d’autres codes tels que le code du travail.

Plusieurs décrets devraient être pris pour la partie réglementaire du code et définir des résultats minimaux à atteindre.

Ordonnance n°2020-71 du 29 janvier 2020 relative à l’écriture des règles de construction et recodifiant le livre 1er

 


ConstructionConstruction12/07/2019

Forclusion de l'action en responsabilité décennale et perte corrélative du droit à garantie à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage.

1.         Après avoir indemnisé son assuré, l'assureur dommages-ouvrage est légalement subrogé de plein droit dans tous les droits et actions que son assuré détenait à l'encontre des responsables des dommages et éventuellement leurs assureurs, conformément aux dispositions de l’article L. 121-12 du Code des assurances. Mais pour que l’assureur dommages-ouvrage puisse agir à l’encontre du responsable, encore faut-il que l’action du maître de l’ouvrage à l’encontre de ce dernier ne soit pas forclose ou prescrite. Si le maître d’ouvrage n’a pas agi dans les délais à l’encontre du constructeur, peut-il néanmoins se retourner contre son assureur dommages-ouvrage ?

La loi ne le lui permet pas : conformément à l’article L. 121-12 al. 2 du Code des assurances, le maître d’ouvrage qui omet d’agir à l’encontre du constructeur dans le délai de la garantie décennale perd non seulement son recours à l’encontre dudit constructeur, mais également son recours à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage, dans la mesure où en omettant d’agir dans le délai à l’encontre du constructeur, le maître d’ouvrage aura fait perdre à l’assureur dommages-ouvrage, son recours subrogatoire à l’encontre du constructeur ; la Cour de cassation vient de rappeler cette règle dans un arrêt du 11 juillet 2019 (Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, n°18-17.433), tout en ajoutant que la sanction prévue par l’article L. 121-12 al. 2 du Code des assurances s’applique quand bien même l’assureur dommages-ouvrage aurait omis d’attirer l’attention de l’assuré sur les conséquences de la perte de son recours subrogatoire.

2.         Dans la perspective de la construction d’une maison individuelle sur un terrain dont elle était propriétaire, Mme X... avait souscrit auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF) un contrat d’assurance dommages-ouvrage. L’entreprise chargée des travaux ne les ayant pas achevés, une réception tacite était intervenue le 8 février 2004. Le 26 décembre 2011, Mme X... déclarait à son assureur dommages-ouvrages (la MAF) des infiltrations d’eau au rez-de-jardin et au rez-de-chaussée de l’habitation. La MAF lui notifiait alors un refus de garantie. Le 11 mars 2014, soit plus de 10 ans après la réception, Mme X… assignait la MAF en référé expertise.

La MAF invoquait alors les dispositions de l’article L. 121-12 al. 2 du code des assurances, aux termes duquel « L'assureur peut être déchargé, en tout ou en partie, de sa responsabilité envers l'assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur. » La MAF soutenait ainsi que faute pour Mme X… d’avoir interrompu le délai de prescription en agissant à l’encontre du constructeur dans les 10 ans de la réception, elle avait privé l’assureur dommages-ouvrage de tout recours subrogatoire à l’encontre dudit constructeur et qu’elle devait en conséquence, être déboutée de sa demande. 

Il est effectivement de jurisprudence constante que l’assureur dommages-ouvrage peut être déchargé de tout ou partie de son obligation d’indemniser l’assuré lorsque le maître de l'ouvrage a laissé s'éteindre ses actions en responsabilité contre les tiers responsables de telle sorte que la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur dommages ouvrage[1]. Dans un tel cas, les juges du fond peuvent, par exemple, décider de décharger, pour moitié, l'assureur de son obligation à garantie envers l'assuré[2]. De même, il a été jugé que lorsque des assurés ont, par le retard apporté dans leurs déclarations de sinistre, interdit à l'assureur dommages-ouvrage d'exercer un recours à l'encontre des constructeurs et de leurs assureurs, toute action à leur encontre étant forclose faute de dénonciation des désordres dans le délai décennal, l’assureur est en droit de refuser de les garantir[3].

En l’espèce, bien que le maître d’ouvrage n’avait pas agi à l’encontre du constructeur dans le délai de la garantie décennale, la cour d’appel n’avait pas fait droit au moyen soulevé par la MAF et l’avait condamnée à garantir le maître d’ouvrage, aux motifs que la compagnie d’assurance n’avait évoqué les dispositions de l’article L. 121-12 du code des assurances dans aucune des lettres notifiant à l’assurée son refus de garantie, de sorte que, n’ayant pas attiré l’attention de son assurée sur son recours subrogatoire, elle ne pouvait reprocher à celle-ci de l’avoir empêchée d’exercer ce recours.

La Cour de cassation casse alors l’arrêt de la Cour d’appel, au motif « qu’en statuant ainsi, alors que l’assureur dommages-ouvrage qui dénie sa garantie n’est pas tenu de rappeler à l’assuré, quand il lui notifie son refus de garantie, la position qu’il prend en ce qui concerne l’exercice du droit de subrogation, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». Nul n’est donc censé ignorer la loi…

 

JérômeBarbet (Avocat associé, SCP Enjea Avocats)

 



[1]V. par exemple, Cass., Civ. 1, 12 décembre 1995, n°92-14.943.

[2]V. Cass., Civ. 1, 12 décembre 1995, préc. 

[3]V. Cass., Civ. 3, 8 févr. 2018, n°17-10.010.


ConstructionConstruction28/06/2019

Responsabilité décennale : le non-respect de la clause de conciliation préalable obligatoire n'est pas sanctionné par une irrecevabilité

La Cour de cassation sanctionne le non-respect des clauses de conciliation préalable obligatoire de la façon la plus sévère : outre qu’en présence d’une telle clause, l’absence d’accomplissement de diligences en vue de parvenir à une solution amiable est sanctionnée par une irrecevabilité[1], celle-ci n’est pas régularisable en cours d’instance[2].

En outre, il a été jugé que le préalable de conciliation constitue une condition de recevabilité, non seulement de la demande principale, mais également de la demande reconventionnelle : le défendeur ne saurait ainsi présenter une demande reconventionnelle en cours d’instance sans avoir, au préalable, tenté une conciliation, sous peine de voir sa demande reconventionnelle déclarée irrecevable[3](la fin de non-recevoir ne pouvant, ici encore, pas être régularisée en cours d’instance).

Compte tenu de l’importante limite ainsi posée au droit d’ester en justice, la Cour suprême n’a paradoxalement de cesse de dispenser certaines catégories de clauses ou de plaideurs de la redoutable sanction qu’elle a édicté.

La première Chambre civile a ainsi jugé que la clause qui contraint le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une médiation avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire.[4]Par ailleurs, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a circonscrit la sanction de l’irrecevabilité au seul non-respect des clauses de conciliation préalable obligatoires assorties de « conditions particulières de mise en œuvre »[5], c’est-à-dire suffisamment précises. Mais la troisième Chambre civile a pu, au contraire, reconnaître pleine efficacité à une clause pourtant dépourvue de conditions particulières de mise en œuvre[6].

La troisième Chambre civile serait-elle prête à adoucir quelque peu sa jurisprudence ? On se gardera bien de l’affirmer, mais on constatera tout de même qu’à l’instar de la première Chambre civile, elle a refusé de confondre, dans un arrêt en date du 20 avril 2017[7], la clause de conciliation préalable obligatoire avec celle prévoyant que les parties se consulteront, une fois le litige né, en vue de soumettre ce dernier à l’arbitrage. Une telle clause n’emporte pas consentement à l’arbitrage[8]. Elle n’a pas non plus pour objet, d’organiser un éventuel règlement amiable du litige. Aussi, elle n’est pas sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande, ainsi que la première Chambre civile de la Cour de cassation l’avait déjà jugé en 2007[9].

En outre, la troisième Chambre civile considère qu'en matière de responsabilité décennale des constructeurs, l'action de la victime à l'encontre du constructeur est recevable, quand bien même la clause de conciliation préalable obligatoire n'aurait pas été respectée (v. Cass., Civ. 3, 23 mai 2007, n°06-15668 : "ayant relevé à bon droit que la clause de saisine préalable à toute action judiciaire en cas de litige sur l'exécution du contrat de l'Ordre des architectes ne pouvait porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l'article 1134 du code civil, la cour d'appel (...) en a exactement déduit qu'elle n'avait pas vocation à s'appliquer lorsque la responsabilité de l'architecte était recherchée sur le fondement de l'article 1792 du même code"; v. également Cass., Civ. 3, 23 mai 2019, pourvoi n° 18-15.286). 

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2019, des particuliers avaient fait édifier une maison individuelle. Se plaignant de désordres apparus après la réception, ils avaient assigné l'entrepreneur et l'architecte en référé expertise puis, après dépôt du rapport, au fond. En réponse à cela, l'architecte avait soulevé l'irrecevabilité de la demande, au motif que le contrat d'architecte comportait une clause de conciliation préalable qui n'avait pas été respectée. Cette clause stipulait :  « En cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire ». La Cour d'appel avait fait droit à ce moyen et déclaré la demande des maîtres d'ouvrage, irrecevable. L'arrêt est alors cassé, au motif "qu’en statuant ainsi, sans rechercher, au besoin d’office, si l’action, exercée postérieurement à la réception de l’ouvrage, en réparation de désordres rendant l’ouvrage impropre à sa destination, n’était pas fondée sur l’article 1792 du code civil, ce qui rendait inapplicable la clause litigieuse, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision".

Conclusion : en présence d'un désordre de type décennal (désordre compromettant la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rend impropre à sa destination), le maître d'ouvrage qui n'aura pas respecté la clause de conciliation préalable obligatoire prévue dans le contrat (contrat d'architecte bien souvent) ne pourra pas se voir opposer l'irrecevabilité de sa demande. En revanche, si la demande du maître d'ouvrage porte sur un autre fondement (la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur par exemple), sa demande devrait être considérée comme irrecevable, si la clause de conciliation n'a pas été respectée.

Jérôme Barbet, Avocat Associé, SCP Enjea Avocats.

 


[1]Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, Rev. arb., 2003.403, note Ch. Jarrosson ; Procédures2003.96, obs. H. Croze ; Contrats, conc. Consomm., 2003.84, obs. L. Leveneur. V. également Cass., com., 17 juin 2003, n°99-16.001, Procédures2003.213, obs. R. Perrot. Cass., com., 22 février 2005, n°02-11.519, Procédures2005.120, obs. R. Perrot.

[2]Cass., ch. mixte, 12 décembre 2014, n°13-19.684 ; N. Dissaux, Justice v. Justice imposée : une conciliation douteuseJCP G., 2015, 115. 

[3]Cass., com., 30 mai 2018, n°16-26403, à paraître au Bulletin, en somm. in Rev. arb., 2018.479, jugeant « qu’ayant relevé que le contrat de prestation de services, qui fondait la demande reconventionnelle de la société X, contenait, à la différence du contrat de cession faisant l’objet de la demande principale de la société Y, une clause de conciliation préalable, la cour d’appel en a exactement déduit que la demande reconventionnelle devait être précédée d’une tentative de conciliation, laquelle ne pouvait être régularisée en cours d’instance ». La même Chambre avait pourtant jugé le contraire un an plus tôt : v. Cass., com., 24 mai 2017, n°15-25457 jugeant que « l’instance étant en cours au moment où elle est formée, la recevabilité d’une demande reconventionnelle n’est pas, sauf stipulation contraire, subordonnée à la mise en œuvre d’une procédure  contractuelle de médiation préalable à la saisine du juge ». 

[4]Cass., civ. 1ère, 16 mai 2018, n°17-16.197.

[5]Cass., com., 29 avril 2014, n°12-27.004, D., 2014.2541, obs. T. Clay ; ibid.2015.287, obs. N. Fricero ; RTD. civ., 2014.655, obs. H. Barbier.

[6]Cass., civ. 3ème, 19 mai 2016, RTD civ.,2016.621, note H. Barbier.

[7]Cass., civ. 3ème, 20 avril 2017,Rev. arb.,2018.607, note J. Barbet.

[8]En ce sens, v. Cass., civ. 1ère, 30 octobre 2006, Bull. civ.I, n°441.

[9]Cass., civ. 1re, 6 février 2007, Rev. arb., 2008.137, obs. J.-P. Tricoit ; Procédures2007.76, note R. Perrot ; JCP E, 2007 II 1640, note R. Perrot ; JCP, 2007 I §16, note J. Béguin.