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Forclusion de l'action en responsabilité décennale et perte corrélative du droit à garantie à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage. le 12/07/2019

Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019 (n°18-17.433) : Forclusion de l’action en responsabilité décennale et perte corrélative du droit à garantie à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage.

1.         Après avoir indemnisé son assuré, l'assureur dommages-ouvrage est légalement subrogé de plein droit dans tous les droits et actions que son assuré détenait à l'encontre des responsables des dommages et éventuellement leurs assureurs, conformément aux dispositions de l’article L. 121-12 du Code des assurances. Mais pour que l’assureur dommages-ouvrage puisse agir à l’encontre du responsable, encore faut-il que l’action du maître de l’ouvrage à l’encontre de ce dernier ne soit pas forclose ou prescrite. Si le maître d’ouvrage n’a pas agi dans les délais à l’encontre du constructeur, peut-il néanmoins se retourner contre son assureur dommages-ouvrage ?

La loi ne le lui permet pas : conformément à l’article L. 121-12 al. 2 du Code des assurances, le maître d’ouvrage qui omet d’agir à l’encontre du constructeur dans le délai de la garantie décennale perd non seulement son recours à l’encontre dudit constructeur, mais également son recours à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage, dans la mesure où en omettant d’agir dans le délai à l’encontre du constructeur, le maître d’ouvrage aura fait perdre à l’assureur dommages-ouvrage, son recours subrogatoire à l’encontre du constructeur ; la Cour de cassation vient de rappeler cette règle dans un arrêt du 11 juillet 2019 (Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, n°18-17.433), tout en ajoutant que la sanction prévue par l’article L. 121-12 al. 2 du Code des assurances s’applique quand bien même l’assureur dommages-ouvrage aurait omis d’attirer l’attention de l’assuré sur les conséquences de la perte de son recours subrogatoire.

2.         Dans la perspective de la construction d’une maison individuelle sur un terrain dont elle était propriétaire, Mme X... avait souscrit auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF) un contrat d’assurance dommages-ouvrage. L’entreprise chargée des travaux ne les ayant pas achevés, une réception tacite était intervenue le 8 février 2004. Le 26 décembre 2011, Mme X... déclarait à son assureur dommages-ouvrages (la MAF) des infiltrations d’eau au rez-de-jardin et au rez-de-chaussée de l’habitation. La MAF lui notifiait alors un refus de garantie. Le 11 mars 2014, soit plus de 10 ans après la réception, Mme X… assignait la MAF en référé expertise.

La MAF invoquait alors les dispositions de l’article L. 121-12 al. 2 du code des assurances, aux termes duquel « L'assureur peut être déchargé, en tout ou en partie, de sa responsabilité envers l'assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur. » La MAF soutenait ainsi que faute pour Mme X… d’avoir interrompu le délai de prescription en agissant à l’encontre du constructeur dans les 10 ans de la réception, elle avait privé l’assureur dommages-ouvrage de tout recours subrogatoire à l’encontre dudit constructeur et qu’elle devait en conséquence, être déboutée de sa demande. 

Il est effectivement de jurisprudence constante que l’assureur dommages-ouvrage peut être déchargé de tout ou partie de son obligation d’indemniser l’assuré lorsque le maître de l'ouvrage a laissé s'éteindre ses actions en responsabilité contre les tiers responsables de telle sorte que la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur dommages ouvrage[1]. Dans un tel cas, les juges du fond peuvent, par exemple, décider de décharger, pour moitié, l'assureur de son obligation à garantie envers l'assuré[2]. De même, il a été jugé que lorsque des assurés ont, par le retard apporté dans leurs déclarations de sinistre, interdit à l'assureur dommages-ouvrage d'exercer un recours à l'encontre des constructeurs et de leurs assureurs, toute action à leur encontre étant forclose faute de dénonciation des désordres dans le délai décennal, l’assureur est en droit de refuser de les garantir[3].

En l’espèce, bien que le maître d’ouvrage n’avait pas agi à l’encontre du constructeur dans le délai de la garantie décennale, la cour d’appel n’avait pas fait droit au moyen soulevé par la MAF et l’avait condamnée à garantir le maître d’ouvrage, aux motifs que la compagnie d’assurance n’avait évoqué les dispositions de l’article L. 121-12 du code des assurances dans aucune des lettres notifiant à l’assurée son refus de garantie, de sorte que, n’ayant pas attiré l’attention de son assurée sur son recours subrogatoire, elle ne pouvait reprocher à celle-ci de l’avoir empêchée d’exercer ce recours.

La Cour de cassation casse alors l’arrêt de la Cour d’appel, au motif « qu’en statuant ainsi, alors que l’assureur dommages-ouvrage qui dénie sa garantie n’est pas tenu de rappeler à l’assuré, quand il lui notifie son refus de garantie, la position qu’il prend en ce qui concerne l’exercice du droit de subrogation, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». Nul n’est donc censé ignorer la loi…

 

JérômeBarbet, Avocat associé, SCP Enjea Avocats.



[1]V. par exemple, Cass., Civ. 1, 12 décembre 1995, n°92-14.943.

[2]V. Cass., Civ. 1, 12 décembre 1995, préc. 

[3]V. Cass., Civ. 3, 8 févr. 2018, n°17-10.010.