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Impact de l'urgence sanitaire causée par l'épidémie de covid-19 sur les autorisations d'urbanisme et le contentieux administratif. le 08/04/2020

Sur le fondement des dispositions de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, le Gouvernement a édicté le 25 mars 2020, une série de vingt-cinq ordonnances de valeur législative.

A la date du 8 avril 2020, deux ordonnances définissent le régime juridique exceptionnellement applicable aux autorisations d’urbanisme et aux procédures contentieuses pendant la crise sanitaire provoquée par l’épidémie :

  • l’ordonnance n° 2020-306 définit les règles applicables aux délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures mises en œuvre durant cette même période ,
  • l’ordonnance n° 2020-305 adapte les règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, en précisant le déroulement des instances juridictionnelles.

Le champ d’application de ces ordonnances est défini en fonction de la « période d’urgence sanitaire », délimitée à ce jour par l’article 4 de la loi entre le 12 mars 2020 à 00 h du matin et une date fixée à un mois après la fin de l’État d’Urgence Sanitaire (EUS) soit, en l’état des textes qui sont susceptibles d’être modifiés à tout moment, un mois après le 24 mai 2024 à 24 h (minuit).

Sont impactés, d’une part, les procédures administratives et le régime des recours (1) et, d’autre part, les règles de procédure juridictionnelle (2).

1.         Impacts sur les procédures administratives et le régime des recours

1.1       Les délais de procédure administrative

1.1.1    Le sort des délais d’instruction des demandes d’autorisation en cours

S’agissant des procédures d’instruction, l’ordonnance ne fait pas juridiquement obstacle au dépôt de nouvelles demandes d’autorisation d’urbanisme pendant cette période.

Toutefois, les impacts sur les procédures en cours sont substantiels et pourront faire obstacle, en pratique, au déroulement effectif de celles-ci :

  • l’ordonnance permet aux services instructeurs de reporter le point de départ de l’instruction de tout nouveau dossier jusqu’au 25 juin à 00 h du matin (art. 7),
  • le délai d’instruction des autorisations d’urbanisme et de manière plus générale, de toutes les autorisations administratives susceptibles d’être nécessaires à un projet de travaux en cours d’instruction à la date du 12 mars 2020 est suspendu jusqu’au 24 juin 2020 minuit : il recommencera donc à courir le 25 juin à 00 h du matin pour le délai restant à partir de ce moment (art. 7),
  • entre le 12 mars et le 24 juin 2020 à minuit (fin de l’état d’urgence + 1 mois), du fait de la suspension de tous les délais, aucun avis ou accord implicite ne peut naître du silence des organes consultés : seuls des avis ou accords explicites peuvent être émis (art. 7).

Il en résulte que durant la période d’application de l’ordonnance, seules des autorisations explicites pourront être délivrées , et que pour le dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation d’urbanisme ou toute instruction en cours, il est nécessaire de prendre attache avec les services de l’urbanisme compétents pour connaître les conditions locales de traitement des demandes.

1.1.2    Le sort des procédures de consultation du public

Les procédures de consultation du public mises en œuvre dans le cadre d’une enquête publique ou de participation du public sont suspendues si elles étaient en cours, ou reportées jusqu’au 25 juin à 00 h du matin (art. 7).

Ce n’est que si l’enquête publique en cours ou projetée présente un intérêt national et un caractère urgent que l'autorité compétente pour organiser l'enquête publique peut la maintenir et en adapter les modalités (art. 12).

1.1.3    Le sort des taxes d’urbanisme

Quant aux taxes d’urbanisme, les délais de déclarations servant à l’imposition et à l'assiette, mais aussi les délais relatifs à la liquidation et au recouvrement des impôts, droits et taxes sont explicitement exclus du bénéfice de la prorogation définie par l’article 2 de l’ordonnance (art. 10, II).

En revanche, les délais impartis à l’administration pour procéder au recouvrement des taxes sont suspendus jusqu’au 24 août 2020 à minuit (art. 11, fin de l’état d’urgence + 3 mois). Les délais relatifs à l’exercice du droit de reprise sont, quant à eux, suspendus jusqu’au 24 juin 2020 à minuit (art. 10, fin de l’état d’urgence + 1 mois).

 1.2       Impacts sur le régime des recours

A titre liminaire, il convient de rappeler qu’en droit administratif, les délais de recours contentieux sont des délais « francs » : leur point de départ correspond au lendemain de la date d’échéance, le délai s’achevant deux mois après cette date de départ à minuit (avec prorogation au premier jour ouvrable si le délai vient échéance le week-end ou un jour férié).

L’article 2 de l’ordonnance proroge les délais de recours contentieux venant à échéance pendant la période de référence de l’ordonnance (entre le 12 mars et le 24 juin) : il les interrompt et les fait courir à nouveau, pour leur intégralité, à l’échéance de cette période.

Toutefois, dans le même temps, cet article limite l’échéance de tous les délais qu’il proroge à un délai maximal de deux mois à compter de la fin de la période de référence, neutralisant semble-t-il le principe administratif du délai franc.

Le caractère exceptionnel de ces dispositions conduit à des incertitudes sur leurs conditions d’application. Après avoir dans un premier temps fixé la date d’échéance des délais de recours contentieux au 25 août à minuit, le Conseil d’Etat fixe celle-ci au 24 août 2020 à minuit dans la dernière version de la fiche d’application publiée.

1.2.1    La prorogation des délais de recours (et plus généralement des délais impartis pour accomplir tous actes, formalités, notification…) (Ord. n°2020-306, article 2)

1.2.1.1  Propos liminaires sur le déclenchement du délai de recours contre les autorisations d’urbanisme

L’ordonnance ne contient aucune disposition relative aux modalités spécifiques suivant lesquelles le délai de recours contentieux des autorisations d’urbanisme est susceptible de courir.

Si le délai de deux mois d’affichage continu et régulier du permis vient à échéance pendant la période de suspension (avant le 24 juin à minuit), le délai de recours est prorogé dans les conditions définies par l’ordonnance.

En revanche, la question se pose du sort réservé aux affichages qui seraient mis en œuvre pendant la période de suspension (avant le 24 juin à minuit) mais qui viendraient à échéance après l’expiration de celle-ci.

En effet, l’affichage ne fait normalement courir le délai de recours qu’à condition d’être effectué sur une voie ouverte à la circulation du public, principe qui paraît peu compatible avec la période de confinement.

Les dispositions de l’ordonnance ne permettent pas de répondre avec certitude à cette interrogation.

1.2.1.2  La prorogation du délai de recours contentieux

Le délai imparti pour former un recours contentieux à l’encontre d’une décision dont le délai de recours vient à échéance pendant la période de suspension expirera le 24 août 2020 à minuit (24 h) (fin de l’état d’urgence + 3 mois).

Le délai imparti aux tiers (y compris au Préfet) pour présenter un recours gracieux de nature à interrompre le délai de recours contentieux expirera lui aussi le 24 août 2020 à minuit (24 h).

Le délai de six mois imparti pour former un recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme à compter de l’achèvement des travaux (art. R. 600-3 C. Urb.) paraît aussi devoir être prorogé 24 août 2020 minuit (24h) dans l’hypothèse où il viendrait à expiration pendant la période de référence.

1.2.1.3  Sera également prorogé le point de départ du délai de 15 jours (délai franc qui n’est pas neutralisé par la limite de deux mois fixée par l’article 2 de l’Ord.) imparti à l’auteur d’un recours administratif ou contentieux pour le notifier sous peine d’irrecevabilité (art.R. 600-1 C. Urb.) au pétitionnaire et à l’autorité de délivrance.

Le point de départ de ce délai franc étant reporté au 24 juin 2020 à minuit (24h), il courra jusqu’au vendredi 10 juillet 2020 minuit (24h).

1.2.2    La suspension du délai d’intervention d’une décision administrative (Ord. n°2020-306, art. 7)

Les délais de réponse de l’administration, notamment sur les recours administratifs (gracieux ou hiérarchiques), qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus en l’état jusqu'au 24 juin prochain minuit – 24h). Ils recommenceront à courir pour la durée restant à compter de cette date.

Le délai de retrait des autorisations d’urbanisme (trois mois à compter de la délivrance de l’autorisation, art. L. 424-5 C. Urb.) me semble suspendu dans les mêmes conditions, considérant l’esprit du texte (nonobstant la lettre de l’article 2 qui pourrait nous tenter d’appliquer le principe de prorogation, mais ce n’est pas notre sentiment).

2.         L’adaptation des règles applicables devant les juridictions administratives

A titre liminaire, il convient de préciser que les ordonnances n°2020-305 et n°2020-306 comportent toutes deux des dispositions intéressant la matière juridictionnelle.

2.1       L’organisation et le fonctionnement des juridictions (ord. n°2020-305)

Durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire,, la communication des pièces, actes et avis aux parties peut être effectuée par tout moyen (art. 5).

Les juridictions administratives peuvent également adapter la tenue des audiences en interdisant le public ou en admettant un public limité (art. 6), en tenant des audiences audiovisuelles et si impossibilité technique / matérielle, par tout moyen électronique y compris téléphonique (art. 7), et, en matière de référés (après qu’une date de clôture d’instruction a été fixée, art. 9) et de demande de sursis à exécution d’une décision de première instance (art. 10) la tenue de l’audience n’est pas obligatoire.

Le Rapporteur public peut être dispensé de lire ses conclusions (art. 8).

Enfin, s’agissant des décisions juridictionnelles : les ordonnances de référé rendues sans audience peuvent faire l’objet d’un appel (si la requête n’était pas manifestement irrecevable, art. 9), et les conditions de mise à disposition des décisions juridictionnelles, de leur signature, et de notification sont également adaptées, et, notamment, ces décisions sont valablement notifiées aux avocat (art. 11 à 13).

2.2       Les délais de procédure et de jugement

2.2.1    Les délais fixés par le juge

Les mesures de clôture d’instruction sont prorogées de plein droit (sauf report par le juge) en l’état jusqu’au 24 juin prochain à 24h (ord. n°2020-305, art. 16).

Cela semble concerner la date de clôture fixée à heure déterminée, et la date à compter laquelle une clôture immédiate est susceptible d’intervenir.

Le délai imparti par le juge pour conclure au moyen d’une mise en demeure (art. R. 612-3 CJA), est, selon le Conseil d’Etat (dans un tableau communiqué au barreau de Paris le 31 mars), prorogé de deux mois forfaitaires, soit jusqu’au 24 août minuit (24h) (ord. n°2020-306).

2.2.2 Les délais fixés par un texte

Le délai de contestation des décisions juridictionnelles non échu avant le 12 mars 2020 est prorogé : le point de départ du délai de deux mois pour enregistrer une requête en appel ou un pourvoi en cassation, et du délai d’un mois pour contester une Ordonnance de référé, est (en l’état) fixé au 24 juin prochain (art. 2 Ord. n°2020-306).

Le délai de cristallisation des moyens (qui commence à courir à compter de la notification du mémoire en défense pendant deux mois, art. R. 600-5 C. Urb.), n’est pas explicitement visé mais selon le Conseil d’Etat l’article 2 de l’Ordonnance n°2020-306 le proroge pour sa durée initiale soit deux mois à compter du 24 juin.

Le délai d’un mois pour confirmer le maintien de la requête au fond (art.R. 600-1 C. Urb.) lorsque la requête en référé suspension a été rejetée pour défaut de moyen propre à créer un doute sur la légalité de l’acte attaqué est prorogé dans les mêmes conditions : pour les ordonnances de rejet précitées notifiées à compter du 12 février et jusqu’au 24 mai 2020 minuit (24h), l’acte de maintien de la requête au fond pourra donc être enregistré auprès du greffe jusqu’au 24 juillet 2020 minuit (24h).

Ce principe de prorogation s’applique en outre au délai d’un mois imparti pour l’enregistrement des transactions (article L. 600-8 C. Urb.) portant sur le désistement d’une partie dans le cadre d’un recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme, et signées par les parties à compter 12 février et jusqu’au 24 mai minuit (24h), qui pourront ainsi être enregistrées jusqu’au 24 juillet minuit (24h).

 2.2.3 Le report du délai imparti au juge pour statuer

Enfin, s’agissant du délai imparti au juge administratif pour statuer (comme par exemple en 10 mois sur la requête dirigée contre un permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d'aménager un lotissement, art. R. 600-6 C. Urb.), le point de départ dudit délai est reporté au premier jour du deuxième mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (soit, en l’état, au 1er juillet prochain) (ord. n°2020-305, art. 17).

Par Nathalie BAILLON, Fanny MORISSEAU et Stéphane ROUX