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Arbitrage et référé : chronique de jurisprudence française de la Revue de l'arbitrage par Jérôme Barbet (Revue de l'arbitrage 2020, n°2) le 03/08/2020

Arbitrage et référé : chronique de jurisprudence française de la Revue de l'arbitrage par Jérôme Barbet (Revue de l'arbitrage 2020, n°2)

La Revue de l'arbitrage publie les observations de Jérôme Barbet au sujet de plusieurs arrêts relatifs à l'articulation entre l'arbitrage et le référé (Revue de l'arbitrage 2020, n°2).

1.- CA Paris (Pôle 1 - Ch. 2), 26 septembre 2019, Sté Alelk Company for General Trading Ltd. c/ SAS Airbus Helicopters.

L'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction étatique aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou, en cas d’urgence, une mesure provisoire ou conservatoire (art. 1449 du code de procédure civile). Mais quelle juridiction étatique est compétente dans un tel cas ?

L’article 1449 al. 2 du code de procédure civile indique seulement que la demande doit être portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce : il renvoie ainsi aux règles de compétence matérielle de droit commun. Le juge matériellement compétent est le juge des référés (ou le président du tribunal judiciaire ou de commerce saisi sur requête) et non le juge d’appui.

En revanche, l’article 1449 du code de procédure civile ne précise pas quel juge est territorialement compétent : telle était la question qui se posait dans l’arrêt ci-dessus rapporté.

La Cour d’appel de Paris a jugé, dans cette affaire, que « s’il est admis que, en principe, la compétence territoriale du juge des référés est celle de la juridiction appelée à connaître d’un éventuel litige au fond, ce principe n’est pas transposable en présence d’une clause compromissoire qui n’emporte aucune conséquence sur la compétence des juridictions étatiques en dehors de celles qui sont prévues expressément aux articles 1459 et 1487 du code de procédure civile. » Elle a également jugé que « la société Alelk, qui expose que le juge des référés compétent peut être aussi celui dans le ressort duquel est né l’incident ou celui dans le ressort duquel des mesures urgentes doivent être prises, ne précise pas en quoi ces critères trouveraient à s’appliquer dans l’affaire en examen au soutien de la compétence du juge des référés du tribunal de commerce de Paris » et que dans la mesure où « en vertu de l’article 42 du code de procédure civile, la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur », le juge des référés du tribunal de commerce territorialement compétent pour connaître du litige était celui d’Aix-en-Provence, puisque la société Airbus Helicopters a son siège à Marignane. 

En conséquence, la Cour d’appel de Paris a renvoyé l’affaire à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et ce, conformément aux dispositions de l’article 90 CPC, qui prévoit que lorsque la cour n’est pas juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente, elle doit renvoyer l’affaire devant la cour qui est juridiction d’appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance.

La Cour d’appel de Paris a ainsi estimé, dans la présente affaire, que le lieu du siège de l’arbitrage ne saurait servir de critère pour déterminer la compétence territoriale du juge des référés saisi d’une demande de provision.

Elle avait déjà jugé la même chose, quelques mois plus tôt (en janvier 2019), au sujet d’une demande de mesure d’instruction fondée sur l’article 145 CPC : elle avait alors considéré que « la circonstance selon laquelle le siège du tribunal arbitral serait à Paris et le juge d'appui le président du tribunal de commerce de Paris est inopérante pour retenir la compétence du président du tribunal de commerce de Paris dès lors que ni le tribunal de commerce de Paris ni le juge d'appui ne sont susceptibles de connaître de l'instance au fond, de telle sorte que cette attribution ne peut justifier la saisine du tribunal de commerce de Paris pour ordonner les mesures d'instruction contestées ». Ce faisant, elle avait déjà pris, au mois de janvier 2019, le contrepied d’un arrêt antérieur : en 2006, elle avait en effet jugé, à l’inverse, que dans la mesure où la clause compromissoire soumettait les litiges à « la compétence d’un arbitre de Paris », c’était le juge des référés de cette ville qui était territorialement compétent pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 CPC.

2.- CA Paris (Pôle 1 - Ch. 3), 26 juin 2019, Sté 2H Energy c/ GE Energy Power Conversion France.

La Cour d'appel de Paris a jugé, dans cette affaire qu' "en application de l’article 1449 CPC, la compétence exceptionnelle reconnue au juge des référés en présence d’une convention d’arbitrage est soumise à la condition de l’urgence. Dès lors, le demandeur au paiement d’une provision doit démontrer, outre le caractère non sérieusement contestable de l’obligation, les circonstances justifiant de l’urgence à en obtenir l’exécution. La société appelante ne démontre pas l’urgence, alors d’une part qu’elle ne peut manifestement pas soutenir que l’aggravation de ses difficultés de trésorerie résulterait directement du refus de l’intimée de payer ses factures, et alors d’autre part qu’elle fait partie d’un groupe de sociétés parfaitement sain qui ne souffre manifestement d’aucune difficulté financière. Il n’est pas établi l’existence d’une urgence manifeste justifiant la saisine du juge des référés nonobstant la clause compromissoire liant les parties et il convient donc de déclarer le juge étatique incompétent pour statuer sur la demande de provision."

Ainsi qu’il résulte de cet arrêt, la Cour d’appel de Paris fait preuve de rigueur dans l’appréciation de la condition d’urgence qui seule peut permettre, en l’absence de constitution du tribunal arbitral, de déroger à la compétence des arbitres pour saisir le juge des référés d’une demande de mesure provisoire ou conservatoire, telle qu’une demande de condamnation à payer, par provision, une somme d’argent (art. 1449 du code de procédure civile).

Pour juger de l’existence ou non d’un péril financier de nature à justifier l’urgence de saisir le juge des référés, la Cour a en l’espèce non seulement scruté les comptes de la société qui demandait une provision pour déterminer si ses difficultés de trésorerie étaient réelles ; elle a également recherché, en détail, si ces difficultés de trésorerie pouvaient être « directement » liées au retard de paiement des sommes réclamées. 

En outre, la Cour ne s’est pas contentée d’étudier la situation financière de la demanderesse à la provision. Elle a également recherché si le groupe de sociétés dont elle faisait partie pouvait, lui-même, être en difficulté financière.

Elle s’est également attachée à regarder si la société qui demandait la provision était financée par le groupe dont elle faisait partie, et si les flux de trésorerie intra-groupe n’étaient pas de nature à expliquer le niveau de ses liquidités disponibles.

Enfin, la Cour a étudié si la société adverse pouvait, elle aussi, se trouver dans une situation de « précarité financière ».

La condition d’urgence a ainsi été passée au peigne fin.

3.- CA Paris (Pôle 1 - Ch. 2), 6 juin 2019, SARL ED2L c/ SARL Nicot Couderc.

La Cour d''appel de Paris a jugé, dans cette affaire qu' "Il se déduit de l’article 1449 du code de procédure civile conforme au demeurant à la jurisprudence antérieure à son entrée en vigueur que si l’urgence n’est pas exigée pour la recevabilité d’un référé-provision engagée au visa de l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, elle l’est pour justifier le recours au tribunal étatique en présence d’une clause d’arbitrage. Une telle urgence n’est pas caractérisée dès lors que les échéances ont cessé d’être réglées entièrement à compter de l’échéance de 2014 sans que cela appelle de réaction de la part de la partie intimée et qu’il n’apparaît pas qu’elle puisse en conséquence se prévaloir d’une urgence telle qu’elle ne permettrait pas d’attendre la constitution du tribunal arbitral. Par ailleurs, il y aurait quelque paradoxe à reconnaître une urgence liée à l’insuffisance de la trésorerie de la société acquéreur des parts, alors que précisément cette insuffisance de trésorerie est un motif de report de l’exigibilité des échéances de remboursement en application des stipulations du contrat."

Cet arrêt fournit une nouvelle illustration de la rigueur avec laquelle la Cour d’appel de Paris apprécie l’urgence, condition nécessaire de la compétence du juge des référés en présence d’une convention d’arbitrage (art. 1449 CPC).

D’une part, l’urgence n’est pas caractérisée lorsque le demandeur a attendu trop longtemps avant d’agir en justice.

D’autre part, la Cour ne considère pas l’insuffisance de trésorerie du défendeur comme devant nécessairement constituer une urgence dans certaines circonstances particulières, notamment lorsque comme en l’espèce, cette insuffisance constitue, aux termes du contrat, un motif de report des échéances de paiement du prix convenu et qu’il ne résulte pas « à l’évidence » de celui-ci que le défendeur ne devrait bénéficier d’un report de paiement que pour certaines échéances, et pas d’autres.

4.- CA Lyon (Ch. 8), 17 septembre 2019, SAS Topcars c/ SCI du 25 rue Robespierre.

La Cour d'appel de Lyon a jugé, dans cet arrêt, qu' "Il résulte de l’article 1449 du code de procédure civile que l’existence d’une convention d’arbitrage ne suffit pas, en elle-même, à faire échec à l’intervention du juge des référés sur le fondement de l’article 809, alinéa 2, du code de procédure civile antérieurement à la saisine du tribunal arbitral. En effet, le caractère provisoire de la décision prise en référé ne s’impose pas aux arbitres qui pourront statuer au fond en toute liberté, si les parties au lieu de se satisfaire d’une condamnation provisoire, décident de les saisir. Si le recours au juge des référés doit dans cette hypothèse être justifié par une condition d’urgence que ne requiert pas l’article 809, alinéa 2, et l’article 873, alinéa 2 du code de procédure civile, le premier juge a justement fondé sa décision en caractérisant l’urgence résultant de l’ancienneté de la créance et de son montant."

En présence d’une convention d’arbitrage, la compétence du juge des référés est subordonnée à une condition d’urgence (art. 1449 CPC). Mais cette notion est « floue et laisse une large latitude aux juges du fond » : aussi est-il parfois possible de constater une forte disparité dans l’appréciation de cette condition selon les juridictions saisies.

La présente affaire en fournit une illustration : malgré l’existence d’une convention d’arbitrage, la Cour d’appel de Lyon a accepté, dans l’arrêt ci-dessus rapporté, la compétence du juge des référés pour connaître d’une demande de paiement par provision, au motif de l’urgence constituée par « l’ancienneté de la créance et de son montant » sans expliquer en quoi celle-ci pouvait être concrètement caractérisée. 

En outre, la Cour a justifié la compétence du juge des référés par le fait que la défenderesse ne contestait pas en l’espèce devoir une partie des montants réclamés, érigeant ainsi l’absence de contestation sérieuse (et non l’urgence), en critère de la compétence du juge des référés.

Cet arrêt s’inscrit en porte-à-faux avec la jurisprudence notamment de la Cour d’appel de Paris, qui veille au contraire à n’accepter la compétence du juge des référés en présence d’une convention d’arbitrage que lorsque l’urgence est dûment constatée, voire même « manifeste » (v. supra, Paris, Pôle 1, Ch. 3, 26 juin 2019).

5.- CA Paris (Pôle 1 - Ch. 2), 27 février 2020, SARL Ecomar c/ SCCV Les Hauts de Rivière Roche.

La Cour d'appel de Paris a jugé, dans cette affaire, qu' Il résulte de l’article 1449 du code de procédure civile que l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’Etat aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire. Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce, qui statue sur les mesures d’instruction dans les cas prévus à l’article 145 et, en cas d’urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d’arbitrage. La société demanderesse produit une attestation de son expert-comptable selon laquelle elle connaît de graves difficultés depuis deux ans, avec une perte de 1.478.779 euros essentiellement due au chantier litigieux, de sorte qu’il y a urgence à obtenir le règlement de la créance ; cette attestation suffit à caractériser l’urgence, au sens de l’article 1449 du code de procédure civile, et permet de saisir le juge des référés aux fins de mesures provisoires même en présence d’une convention d’arbitrage, l’existence d’une saisie conservatoire au profit de la demanderesse n’étant pas de nature à enlever à une demande en provision son caractère d’urgence."

Souvent, la partie qui allègue l’urgence – condition de la compétence du juge des référés en présence d’une convention d’arbitrage  - fait état de difficultés financières. A quelles conditions ce moyen peut-il prospérer ? Le présent arrêt esquisse, avec d’autres, quelques solutions à ce sujet. Il présente également l’intérêt de rappeler que la juxtaposition d’une clause d’arbitrage et d’une clause d’élection de for dans le même contrat n’a pas pour effet de priver la clause compromissoire de tout effet. 

6.- CA Limoges (Ch. civ.), 11 avril 2019, Sté JKLM D’J & C.S.R.L. c/ SARL AB Developpement, MMA IARD, SAS Semental.

La Cour d'appel de Limoges a jugé, dans cette affaire, qu' "Il résulte de l’article 1449 du code de procédure civile que l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés du tribunal de grande instance aux fins qu’il soit ordonné une mesure d’instruction, notamment, comme en l’espèce une expertise, sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve d’une situation d’urgence, la seule exigence étant de justifier d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile. Le défaut de paiement des factures à leur échéance, motivé par le litige relatif à la qualité des lots de semence livrées antérieurement, est de nature à désorganiser économiquement la société J, en sorte que cette société justifie d’une urgence au soutien de sa demande de provision."

Est-il nécessaire de justifier d’une urgence pour demander au juge des référés d’ordonner une mesure d’instruction telle qu’une expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, lorsque les parties sont liées par une convention d’arbitrage ? L'arrêt ci-dessus rapporté a répondu par la négative.

En présence d’une convention d’arbitrage, il n’est, selon la Cour, « pas nécessaire de faire la preuve d’une situation d’urgence » pour solliciter du juge des référés, une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 CPC.

La solution ne fait effectivement pas de doute : selon le texte même de l’article 1449 du code de procédure civile, l’urgence de nature à justifier la compétence du juge étatique n’est requise que pour solliciter des mesures provisoires ou conservatoires, et non pour solliciter des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 CPC.

Elle est, en outre, bienvenue : pour être utiles et efficaces, les mesures d’instruction ne doivent en effet pouvoir omettre aucune piste, et les investigations ne sauraient donc être restreintes à certaines parties seulement. Aussi, n’est-il pas opportun de soumettre la compétence du juge des référés pour ordonner des mesures d’instruction à des conditions distinctes selon les situations et les parties ; et c’est à bon droit que, pour se reconnaître compétent afin d’ordonner des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 CPC, le juge français écarte tant les clauses attributives de juridiction que les clauses d’arbitrage. 

7.-  CA Paris (Pôle 1 - Ch. 2), 31 octobre 2019, SAS Lltech Management. c/ Sté Business Asia Consultants.

La Cour d'appel de Paris a jugé, dans cette affaire, que "Le fait que les règles de l’American Arbitration Association prévoient une procédure applicable en cas d’urgence ne prive pas la société intimée de demander à son bénéfice l’application des dispositions de l’article 1449 du code de procédure civile. Il est toutefois nécessaire, pour que la société intimée puisse prétendre à l’allocation d’une provision au visa des dispositions de l’article 1449 du code de procédure civile, qu’elle démontre l’existence d’une urgence au-delà du simple défaut de contestation sérieuse relativement à sa créance tel que requis par les dispositions de l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile. En l’espèce, il convient de relever que la créance est relativement ancienne, que les derniers paiements de la société appelante sont intervenus au printemps de l’année 2016, qu’à cette époque le gérant de cette société faisait état, dans ses courriels, de ses difficultés financières et de son absence de trésorerie et qu’il est par ailleurs établi que la société appelante n’a pas déposé ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce au titre l’exercice clos au 21 décembre 2017. Dès lors, il convient de conclure que la société intimée justifie suffisamment du caractère urgent de sa demande, en raison des risques concernant le recouvrement de son éventuelle créance, et de la compétence par voie de conséquence du juge des référés étatique, nonobstant l’existence de la clause compromissoire."

Lorsque le règlement d’arbitrage prévoit la possibilité pour les parties de demander des mesures provisoires ou conservatoires à l’arbitre, cela exclut-il la faculté pour elles de demander des mesures de même nature à un juge étatique ? La Cour d’appel de Paris a répondu dans l’arrêt ci-dessus rapporté que tel n’était pas le cas.

Afin de juger que l’urgence était en l’espèce caractérisée et justifiait sa compétence pour connaître de la demande de provision, la Cour d’appel de Paris a ensuite relevé que la créance alléguée était« relativement ancienne, que les derniers paiements de la société appelante sont intervenus au printemps de l’année 2016, qu’à cette époque le gérant de cette société faisait état, dans ses courriels, de ses difficultés financières et de son absence de trésorerie et qu’il est par ailleurs établi que la société appelante n’a pas déposé ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce au titre l’exercice clos au 21 décembre 2017. Dès lors, il convient de conclure que la société intimée justifie suffisamment du caractère urgent de sa demande, en raison des risques concernant le recouvrement de son éventuelle créance, et de la compétence par voie de conséquence du juge des référés étatique, nonobstant l’existence de la clause compromissoire ».

En matière de référé provision, les critères habituellement retenus par les juges pour caractériser l’urgence sont le risque de non-recouvrement de la créance ou une difficulté financière particulière du demandeur. La Cour d’appel de Paris a ainsi jugé en 2017 qu’à défaut pour le demandeur à la provision d’alléguer un « risque de non recouvrement » de sa créance, une « impossibilité matérielle ou juridique » de saisir le tribunal arbitral de sa demande « en temps utile pour préserver ses droits à ce titre », ou une « difficulté financière justifiant sa demande provisionnelle au juge des référés », l’urgence ne pouvait être considérée comme caractérisée.

Les « importantesdifficultés de trésorerie justifiant l’urgence à demander au juge des référés le paiement d’une provision » doivent, selon la Cour d’appel de Paris, exister au jour de l’assignation en référé, date à laquelle s’apprécie la compétence du juge.

La Cour d’appel de Toulouse a également jugé que l’urgence, qui « s’apprécie in concreto », est caractérisée lorsque la « preuve » est « suffisamment rapportée de graves difficultés financières mettant en péril la pérennité » de la société qui sollicite la provision.

L’ancienneté de la créance est parfois invoquée pour justifier de l’urgence à saisir le juge des référés. Mais souvent, elle n’est pas considérée comme permettant, à elle seule, de caractériser l’urgence. Lorsque les juges constatent l’ancienneté de la créance pour retenir l’urgence, c’est la plupart du temps comme « circonstance aggravante » des difficultés financières rencontrées par la partie qui sollicite la provision ou comme circonstance aggravante du risque de non recouvrement de la créance, eu égard à la précarité de la situation financière du débiteur. Le moyen doit être manié avec précaution car il est à double tranchant : les cours d’appel, notamment celle de Paris, ont plutôt tendance à considérer, lorsque la créance est ancienne et que le demandeur à la provision a tardé à agir, que l’urgence n’est dans un tel cas pas caractérisée (v. par ex. Paris, Pôle 1, Ch. 2, 6 juin 2019, commenté supra). 

Dans la présente affaire, la Cour d’appel de Paris ne s’est pas contentée de constater que la créance était « relativement ancienne », elle a aussi relevé que la société qui sollicitait la provision faisait état de difficultés de trésorerie et surtout, que le débiteur allégué n’avait pas déposé ses comptes au greffe, de sorte qu’il existait « des risques concernant le recouvrement »de la créance alléguée. La décision apparaît ainsi parfaitement motivée.

8.-  CA Versailles (14ème Ch.), 31 octobre 2019, Monsieur X c/ Monsieur Z, SELARL X-Y-Z.

La Cour d'appel de Versailles a jugé, dans cette affaire, qu' "Il ne résulte d’aucun texte que la mesure d’instruction ordonnée par le tribunal arbitral suspend automatiquement le cours de l’instance arbitrale jusqu’au dépôt du rapport d’expertise. Le délai d’arbitrage ayant expiré de plein droit, à défaut d’accord des parties et de saisine avant expiration de ce délai du juge d’appui telle que prévue par l’article 1463 du code de procédure civile, il ne peut être contesté qu’à la date de saisine du juge des référés le 1er mars 2019, plus aucun tribunal arbitral n’était constitué, ce d’autant que l’un des arbitres était décédé en septembre 2018. A la date de saisine du juge des référés le 1ermars 2019, plus aucun tribunal arbitral n’était constitué, ce d’autant que l’un des arbitres était décédé en septembre 2018, de sorte que le demandeur est recevable en sa demande de provision fondée sur les dispositions de l’article 1449 du code de procédure civile, le juge des référés étant compétent pour en connaître dès lors que les conditions de l’article 1449 sont remplies."

Lorsque le tribunal arbitral ordonne une expertise, cela suspend-t-il le délai d’arbitrage ? Quand le délai de la procédure d’arbitrage a été dépassé et que le tribunal arbitral n’a toujours pas rendu sa sentence, peut-on considérer qu’aucun tribunal arbitral n’est « constitué » au sens de l’article 1449 CPC ? Le juge des référés peut-il alors être saisi d’une demande de provision ? Le décès de l’arbitre permet-il de saisir le juge des référés d’une demande de mesures provisoires ou conservatoires ? C’est à ces nombreuses questions que le présent arrêt de la Cour d’appel de Versailles apporte des réponses.

 

Jérôme Barbet

Avocat au barreau de Paris, Solicitor (England & Wales), Avocat associé, SCP Enjea Avocats