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Nullité du contrat de sous-traitance pour défaut de fourniture de la caution légale : le sous-traitant qui exécute les travaux est réputé y avoir renoncé (Cass., Com., 9 septembre 2020, n°18-19.250), par Jérôme Barbet le 27/10/2020

La loi impose à l’entrepreneur principal, sous peine de nullité du contrat de sous-traitance, de fournir à son sous-traitant, soit une caution bancaire, soit une délégation du maître d’ouvrage, afin de garantir le paiement de toutes sommes dues au sous-traitant (art. 14 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975).

Mais le sous-traitant qui, après conclusion du sous-traité, exécute les travaux en connaissance du fait que l’entrepreneur principal ne lui a pas fourni la caution exigée par la loi, est réputé avoir tacitement renoncé à se prévaloir de la nullité du sous-traité : telle est la solution que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de poser dans un arrêt du 9 septembre 2020 (Cass., Com., 9 septembre 2020, n°18-19.250).

Elle a en effet jugé, dans une affaire où un sous-traitant invoquait la nullité de son contrat au motif que l’entrepreneur principal n’avait pas fourni la caution prévue par la loi, que « la violation des formalités de l’article 14, alinéa 1er, de la loi du 31 décembre 1975, qui ont pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle ce dernier peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant ».

En principe, la caution doit impérativement être fournie dès la conclusion du contrat de sous-traitance. A défaut, le contrat de sous-traitance est nul. Le sous-traitant peut invoquer cette nullité alors même qu'il aurait été réglé de l'intégralité de ce qui lui est dû au titre du sous-traité (Cass. Civ. 3, 12 mars 1997, Bull. civ. III, n°55 ; Cass., Com., 12 juill. 2005, n°02-16.048).

En outre, la fourniture d’une caution, même quelque temps après l’entrée en vigueur du contrat de sous-traitance, est insuffisante : pour échapper à la nullité - que seul le sous-traitant peut invoquer, puisqu’il s’agit d’une nullité relative (Cass. com., 19 mai 1980 : Bull. civ. IV, n° 203) - il faut que l’entrepreneur fournisse la caution au moment de la conclusion du contrat. Il importe peu que le cautionnement soit obtenu concomitamment à la délivrance de l’assignation en nullité ou après que le sous-traitant ait invoqué, dans un courrier de mise en demeure, la nullité du sous-traité (v. Cass, Civ. 3, 17 juillet 1996, n°94-15035 ; Cass, Civ 3, 7 février 2001, n°98-19937).

La sanction édictée par la loi est particulièrement sévère : en cas de nullité, le sous-traitant échappera à ses obligations contractuelles vis-à-vis de l’entrepreneur. Aussi, le sous-traitant ne sera-t-il plus, par exemple, soumis à un quelconque délai d’exécution et ne pourra-t-il plus se voir appliquer les pénalités de retard prévues par le contrat de sous-traitance. En outre, il devra être payé du « juste prix » (généralement déterminé après expertise) de l’ensemble des prestations qu’il aura pu réaliser, le prix fixé par le contrat n’étant en principe pas applicable. Dans un tel cas, le sous-traitant pourra donc être payé au-delà du forfait contractuel… 

Le sous-traitant sera bien souvent réticent à alerter l’entrepreneur principal sur l’absence de fourniture de la caution, de peur de ne pas se voir attribuer le marché. Aussi, la sanction de la nullité est-elle utile.

Mais de manière quelque peu paradoxale, certains sous-traitants auront également parfois intérêt à ce que l’entrepreneur ne fournisse pas la caution exigée par la loi dès la conclusion du contrat, puisque cela sera ensuite potentiellement de nature à leur permettre d’obtenir, par exemple, le paiement de sommes supérieures au forfait contractuel. Cela est d’autant plus vrai que les sous-traitants disposent, dans certains cas, d’autres moyens pour pallier à une éventuelle insolvabilité de l’entrepreneur principal : action directe à l’encontre du maître d’ouvrage (à condition que le maître d’ouvrage n’ait pas d’ores et déjà réglé le solde du prix du marché à l’entrepreneur principal), ou action en dommages-intérêts à l’encontre du maître d’ouvrage (à condition que celui-ci ait été au courant de l’intervention du sous-traitant sur le chantier et n’ait pas mis en demeure l’entrepreneur de régulariser la situation, peu important dans un tel cas, que le maître d’ouvrage ait ou non réglé le solde du prix du marché à l’entrepreneur avant que le sous-traitant réclame son dû).

Dès lors, la jurisprudence est venue poser quelques limites au droit du sous-traitant d’invoquer la nullité du sous-traité.

Tout d’abord, les tribunaux admettent que la caution soit fournie après la signature du contrat de sous-traitance, dès lors que celui-ci précise qu’il ne prendra effet qu’à la date de la remise de la caution (en ce sens, v. Cass, Civ 3, 22 octobre 2013, n°12-26250, déclarant valable la clause contractuelle indiquant que la date de remise de la caution constitue la date d’entrée en vigueur du contrat).

Ensuite, les juges ne permettent pas au sous-traitant auquel la caution n’a pas été fournie, d’échapper à toute responsabilité : dans un tel cas, l’entrepreneur principal conserve quand même son droit d’agir à l’encontre du sous-traitant en réparation des malfaçons (Cass., Civ. 3, 14 décembre 2011, 10-28149).

Enfin, s’agissant d’une nullité relative, l’acte est toujours susceptible d’une « confirmation » – c’est-à-dire d’une renonciation à invoquer sa nullité - par le sous-traitant. Tel sera le cas, par exemple, si le sous-traitant accepte, après la conclusion du contrat, une délégation de paiement du maître d’ouvrage (en ce sens, v. CA Paris, 23 mai 2001, SA ADN c/ SA Aqua plus, JurisData n°2001-148994).

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient aujourd’hui d’ajouter une limite supplémentaire au droit du sous-traitant d’invoquer la nullité du contrat : lorsque celui-ci a, « en connaissance de cause » (c’est-à-dire en sachant, au moment de la conclusion du contrat, que la caution légale n’a pas été fournie), volontairement exécuté le contrat, même partiellement, il doit être considéré comme ayant renoncé à demander la nullité de celui-ci.

En l’espèce, le litige opposait une entreprise chargée d’un marché de carénage d’un navire, à son sous-traitant, qui devait effectuer des prestations de chaudronnerie.

Le sous-traitant avait réclamé le paiement de sommes au-delà du forfait contractuel, ce que l’entrepreneur principal avait refusé. Le sous-traitant avait alors agi en nullité du contrat de sous-traitance, faute pour l’entrepreneur d’avoir fourni la caution exigée par la loi, et demandé le paiement de ses prestations au « juste prix ».

La Cour d’appel avait annulé le contrat de sous-traitance après avoir relevé que l’entrepreneur principal avait contesté les réclamations du sous-traitant quant au surcoût des travaux qu’il avait réalisés et que le défaut de paiement de l’intégralité des travaux au sous-traitant excluait la confirmation par ce dernier de l’acte entaché de nullité. 

La Cour de cassation casse l’arrêt au motif qu’en se déterminant ainsi, après avoir constaté que le sous-traitant avait « exécuté les obligations résultant du contrat de sous-traitance irrégulier, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette exécution n’avait pas eu lieu en connaissance du vice affectant le contrat, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Cette solution est conforme au droit : en matière de nullité relative, la partie qui a intérêt à la soulever (c’est-à-dire celle que la loi entend protéger : le sous-traitant en l’espèce) peut toujours y renoncer, en « confirmant » l’acte (art. 1181 al 2 du code civil).

La confirmation de l’acte irrégulier ne peut intervenir qu’après la conclusion du contrat, et ce, soit expressément, soit tacitement. 

Selon la loi, la confirmation tacite sera caractérisée en cas d’« exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité » (art. 1182).

Dès lors, la technique de la confirmation restreint de manière significative, la faculté pour le sous-traitant d’invoquer la nullité de son contrat : le moyen devra désormais être invoqué tout de suite après la conclusion du contrat, avant que les travaux commencent. A défaut, le sous-traitant sera réputé y avoir renoncé.

Est-ce à dire que, dans tous les cas où le sous-traitant exécutera les travaux volontairement, il devra être considéré comme ayant renoncé à se prévaloir de la nullité ? Rien n’est moins sûr : bien que l’article 1182 du code civil ne prévoit pas cette possibilité, peut-être faut-il considérer que lorsque le sous-traitant aura, avant de commencer à exécuter le contrat, réservé l’ensemble de ses droits et actions du fait de l’absence de fourniture de la caution, il ne saurait être considéré comme ayant renoncé, même tacitement, à se prévaloir de la nullité du contrat. Mais cette solution est tout sauf certaine, car l’objectif poursuivi par la réforme du droit des contrats, opérée en 2016, est plutôt de purger les causes de nullité du contrat au plus vite. Le code civil prévoit ainsi une réduction du délai pour agir en nullité à 6 mois dans certains cas (v. art. 1183 du code civil). Conformément à cette nouvelle disposition, si, après avoir fourni la caution tardivement, l’entrepreneur demande au sous-traitant par écrit, soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans un délai de six mois, le sous-traitant devra agir dans ce délai à peine de forclusion de son action (art. 1183 du code civil).

Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation, le sous-traitant n’avait pas soulevé de réserves quant à l’absence de fourniture de la caution. Dans tous les cas, son action en nullité ne pouvait donc pas prospérer.

 

Jérôme Barbet, Avocat Associé, SCP Enjea Avocats