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1982-2022 : le Conseil d'Etat sonne le glas de 40 ans de jurisprudence sur le champ d'application du PCM. Oui, mais...(Commentaire de l'arrêt du 26 juillet 2022 par Nathalie Baillon et Fanny Morisseau) le 09/08/2022

A exactement 40 ans d’intervalle, la date du 26 juillet marque décidément d’une pierre blanche le régime du permis de construire modificatif (PCM).

Il ressort en effet d’une décision très récente (n°437765), rendue le 26 juillet 2022 par le CE sur un pourvoi en annulation dirigé à l’encontre d’un jugement du TA de Montreuil (n°1900007), que le régime du PCM est aligné sur celui de la mesure de régularisation prononcée sur le fondement de l’article L. 600-5-1 C. Urb. (c’est-à-dire sur le régime du PCM de régularisation en cours d’instance).

Les prémisses d’une telle évolution sont notamment révélées par les conclusions de M. Vincent VILLETTES, Rapporteur public sur l’affaire n°436073 (arrêt du 17 mars 2021), qui écrivait en note de bas de page « il nous semble qu’à terme, par souci de cohérence, le champ matériel du permis modificatif devra être assoupli (…) il n’y a pas d’obstacle de principe ou de droit à ce que la notion soit ajustée dans le but de préserver son utilité fonctionnelle. (…) il serait à nos yeux singulier que la possibilité pour un pétitionnaire de remodeler l’économie générale de son projet tout en bénéficiant des droits acquis au titre du permis initial en vienne à dépendre de la saisine d’un juge. En particulier, dès lors que vous acceptez que le permis modificatif vienne purger, de façon anticipée, l’autorisation initiale de ses vices (…), ce double standard conduirait à une situation incongrue dans laquelle le pétitionnaire qui saurait son permis fragile ne pourrait pas spontanément corriger l’illégalité identifiée faute d’être autorisé à remettre en cause l’économie générale de son projet, et devrait donc attendre, passivement, que le juge constate de lui-même ces vices et ouvre la porte à une régularisation ».

La Haute juridiction, saisie d’une affaire lui en donnant l’occasion, vient donc de donner raison à M. VILLETTES.

La décision du 26 juillet 2022 vient en effet modifier le champ d’application du PCM, qui, antérieurement, pouvait être délivré à la triple condition que :

  • Le PC initial soit toujours en cours de validité ;
  • Les travaux ne soient pas achevés ;
  • La conception générale du projet ne soit pas bouleversée.

S’agissant de la 3ème et dernière des conditions précitées, la décision de référence était l’arrêt rendu le 26 juillet 1982 (arrêt Le Roy) par le CE, jugeant que pouvaient faire l’objet d’un PCM les modifications « sans influence sur la conception générale du projet initial ». Au gré des espèces, le juge administratif a utilisé diverses expressions, venant préciser les contours matériels de la « modification » des projets. Ainsi, par un arrêt rendu en 1987, le Conseil d’Etat juge que relève d’un PCM une modification du projet qui ne « bouleverse pas son économie générale » (CE, 3 avril 1987, n°53869).

On peut relever qu’à l’occasion d’une affaire soulevant la question de la possibilité ou non de prononcer une mesure de régularisation (sur le fondement de l’articles L. 600-5 C. Urb., permettant au juge de limiter à une partie du projet la mesure d’annulation qu’il prononce), les 1ère et 6ème sous-sections réunies étaient venues préciser que « les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d'illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale ; qu'à ce titre, la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu'elles fassent l'objet d'un permis modificatif » (CE, 1er octobre 2015, n°374338).

Et, l’expression tenant à « la seule circonstance » fut ensuite reprise dans le cadre d’affaires concernant des PCM hors mesure de régularisation (voir par exemple CE, 17 juin 2020, n° 427025, et, pour un exemple plus récent, voir CAA Marseille, 3 mai 2022, n°20MA03438).

La porosité entre les deux régimes était évidente, si ce n’est que la mesure de régularisation peut intervenir d’une part, alors même que les travaux seraient achevés, et, d’autre part, à condition de ne pas bouleverser la « nature même » du projet, et pas seulement sa « conception générale » comme imposé au PCM hors application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 C. Urb.

Désormais, mesures de régularisation et PCM « classique » obéissent au même impératif tenant à ce que « les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (CE, 26 juillet 2022, n°437765).

Littéralement, les modifications apportées au projet peuvent le bouleverser … tout en ne changeant pas sa nature. L’élargissement matériel applaudi unanimement par les premiers commentateurs pourrait cela étant générer autant d’interrogations que la notion de « conception générale » en son temps.

Certes, on comprend que la Haute juridiction a souhaité mettre un terme au décalage de situation entre un pétitionnaire qui souhaiterait spontanément modifier son projet et celui qui verrait ledit projet contesté devant le juge. C’est d’ailleurs l’explication que donne dans ses conclusions M. AGNOUX, Rapporteur public sous l’arrêt ici commenté, en précisant que l’évolution est justifiée par les difficultés résultant de l’existence de deux régimes distincts. Et, aux termes de ses conclusions, il invite la Haute juridiction à parachever un mouvement jurisprudentiel en « renonçant, cette fois, définitivement, aux velléités de bridage du permis modificatif ». 

Il s’agit donc bien de décaler le curseur, tout en conservant le régime spécifique du PCM, gardien des droits acquis par l’effet du PC initial. Pour autant, l’arrêt du 26 juillet 2022 n’apporte aucun élément permettant de circonscrire le champ d’application du nouveau PCM, et, la tâche consistant à déterminer ce que recouvre, en droit de l’urbanisme, le terme de « nature » s’avère ardue.

Au sens général, on relève qu’il s’agit d’une notion portant sur la qualité intrinsèque - les propriétés - de son objet, comme par exemple la nature administrative ou non d’un contrat.

En matière d’urbanisme, la « nature du projet » fait l’objet de la rubrique 5.2 du Cerfa de demande de permis de construire, qui impose au pétitionnaire de déclarer le régime des travaux envisagés : construction nouvelle ou travaux sur construction existante. 

Mais le juge pourrait-il s’en tenir à cette seule distinction ? On peut en douter, d’autant plus que la même rubrique se poursuit en exigeant du pétitionnaire qu’il déclare si le projet fera ou non l’objet d’une division avant l’achèvement des travaux (le CE admettant d’ailleurs de passer d’un PC à un PCVD et inversement via un PCM), pour ensuite comporter une description des travaux supposant de développer ses différentes composantes.

La notion de « nature » s’opposerait dès lors au caractère nécessairement protéiforme des travaux, ressortant d’ailleurs de la jurisprudence postérieure à l’arrêt précité du 1er octobre 2015 qui évoque tant l’implantation, les dimensions que l’apparence des projets comme autant d’éléments constitutifs de leur « conception générale ».

Les conclusions d’Olivier Fuchs sur l’avis du Conseil d'Etat rendu le 2 octobre 2020, (M. Barrieu, n° 438318, Lebon) révèlent que la « nature » du projet serait composée des mêmes éléments que sa « conception générale », comme par exemple « sa destination, ses dimensions, son implantation ou encore les caractéristiques principales de son insertion dans l'environnement », mais la différence tiendrait au seul « lien » qui persisterait entre le projet initial et le projet modifié.

Pour déterminer si la délivrance d’un PCM est possible ou non, chaque projet n’aurait donc pas à révéler ce à quoi il préside véritablement, au-delà de sa simple apparence et, dans une certaine mesure, outre les destinations prévues, au sens des articles R. 151-27 et R. 151-28 C. Urb., mais il conviendrait seulement de pouvoir identifier un lien entre le projet initial et le projet modifié.

Notamment, on pourrait considérer qu’un changement de destination d’une résidence hôtelière en bureaux préside toujours à la création d’activités, et, à ce titre, ne bouleverse pas la nature du projet, alors que la transformation d’un projet de hangar agricole en habitation (si tant est que le document d’urbanisme le permette) aurait pour effet de contredire la nature du projet initial.

En somme, afin de déterminer si le « bouleversement » du projet peut s’intégrer dans une autorisation modificative ou non, il suffirait de se prévaloir d’un signe d’ascendance entre le projet initial et le projet modifié, mais un lien même ténu suffira-t-il à fonder un PCM ? Espérons que les précisions attendues nous parviennent avant le 26 juillet 2062…

Nathalie BAILLON & Fanny MORISSEAU